Photo : Marie-Joëlle Corneau, courtoisie

La Fille Du Laitier : Camion-théâtre pour un bien-être collectif

Hassan Laghcha, Journaldesvoisins.com… le Mag !, Ahuntsic-Cartierville, Décembre 2022

 

Depuis 2016, à bord de son camion qui sert de scène ambulante, la troupe La Fille Du Laitier sillonne rues et parcs pour offrir son service de livraison-théâtre. Cette compagnie, qui vient d’élire domicile d an s not re quartier, s’inscrit dans une démarche visant à démocratiser l’accès au théâtre.

À son actif, elle compte plusieurs créations et près de quatre cents représentations dans les deux langues. Avec sa directrice générale et artistique Marie-Hélène Bélanger Dumas, nous abordons la petite histoire de cette aventure artistique, son parcours, ses réalisations et ses projets… À l’origine de l’entreprise, trois lauréats de l’École nationale du théâtre du Canada, Marie-Hélène Bélanger Dumas, Caroline Bélanger et Jon Lachlan Stewart. À la suite de la toute première représentation de leur première création dans une salle de théâtre conventionnelle devant une soixantaine de personnes, ils ont eu l’étincelle : et si on présentait nos œuvres dans des lieux familiers et accessibles à tous les publics ?

C’est alors que ces trois artistes de la relève se sont faits à l’idée de la nécessité de démocratiser les arts vivants, en l’occurrence le théâtre. Leur première création, Caisse 606, en est ainsi à près de 300 représentations. « On a eu l’envie que ce travail qu’on estimait de bonne qualité soit vu par plus de personnes. On voulait aussi se donner la chance, comme artistes de la relève, de pouvoir rejouer nos spectacles devant tous les publics, notamment ceux et celles qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les salles de théâtres conventionnelles », dit Marie-Hélène. Elle décrit comment les trois artistes décident de concevoir un événement en extérieur aux abords d’un endroit des plus achalandés de Montréal : le Marché Jean-Talon… en pleine fin de semaine.

Les membres de la compagnie développent alors leur concept novateur et assez audacieux en s’inspirant du phénomène social des camions de bouffe de rue. Ils font ainsi l’acquisition d’un ancien camion de pompiers volontaires de 6,7 mètres (22 pieds) qu’ils transforment en scène de théâtre mobile.

Depuis, le succès de leur première création, Caisse 606, qui appartient au genre théâtre des objets, accessible à tous, ne s’est jamais démenti. D’une durée d’environ 30 à 40 minutes et également présentée en salle, comme toutes les créations de la troupe, la pièce met en scène deux caissières de l’épicerie du coin qui, du fond de leurs désarroi et lassitude quotidiens, se mettent à rêvasser à une vie meilleure.

« Une vie de tous les possibles où les carottes dansent, la sauce soya se meurt d’amour, et où le soleil a un goût d’ananas ! Une vie de liberté et de nage synchronisée ! Prisonnières d’une routine qu’elles connaissent au quart de tour, ces femmes présentent leurs rêves, leurs aspirations, leur besoin de reconnaissance et leur soif de liberté à travers une épopée où les objets du quotidien sont autant d’échappatoires à leur lassitude », indique le programme de la pièce.

Macbeth muet : succès à l’international!

« Mais le grand succès à l’international de la troupe est bel et bien Macbeth muet, qui voyage très bien », souligne Marie-Hélène Bélanger-Dumas. Elle s’attarde sur l’amour de la troupe pour le théâtre absurde et éclaté dont la pièce en est l’un des plus éloquents exemples. Soulignons à ce propos l’heureuse coïncidence qui a fait qu’au moment de notre entretien, la directrice artistique reçoive le colis contenant le certificat d’un grand prix que la troupe vient de remporter à un festival international en Croatie. Ce prix souligne le meilleur spectacle et la meilleure mise en scène. Félicitations !

En fait, la force de la dramaturgie signée La Fille Du Laitier réside dans ce regard oblique et déphasé sur certaines pièces classiques et qui en fait un théâtre de création qui revendique le droit à la folie et à la liberté de l’imaginaire. Cette perception, on la retrouve notamment dans la pièce Tong, qui est inspirée justement d’une œuvre du fameux et intriguant courant artistique et philosophique dadaïste, l’Ursonate, un poème sonore créé par Kurt Schwitters en 1920-1930.

« Le spectacle explore le thème de l’inconnu. L’inconnu qui fait partie intégrante de nos vies, à petite ou grande échelle, qu’on soit enfant, adolescent ou adulte. L’inconnu à franchir, à découvrir, à apprivoiser. L’inconnu qui suscite peur et curiosité. Enfin, comment se laisser transformer par cet inconnu sans s’annihiler », lit-on dans la présentation scénographique du spectacle. Théâtre pour tous !

Sur un autre registre, la troupe, qui déborde d’inspiration, annonce pour l’été prochain le développement de sa nouvelle création Avant de devenir un arbre. Cette pièce lui a permis de marquer son retour postpandémie en faisant une quinzaine de représentations à travers plusieurs arrondissements de Montréal.

Il s’agit d’une tragi-comédie qui aborde le parcours fabulé d’une artiste en devenir et célèbre la résilience de l’enfance face à la maladie. Il s’en dégage de l’humour et de la poésie au travers de tableaux ludiques alliant théâtre d’images, théâtre physique et théâtre d’objets.

« On a surtout envie, à l’approche de la 300e représentation de la pièce Caisse 606, d’organiser un événement spécial en salle avec plus de comédiennes et une mise en scène plus développée », dit Marie-Hélène. Cette dernière envisage l’avenir de sa compagnie avec optimisme, vu les efforts soutenus par les différents conseils des arts (CAM, CAC et CALQ) visant le développement des programmes de médiation culturelle en arts. Elle cite en exemple le programme Une école montréalaise pour tous qui vise à permettre à tous les enfants de tous milieux d’avoir accès aux programmes de médiation culturelle et aux ateliers d’arts et pour lequel La Fille du Laitier a été approchée.

« On regarde ça à partir du printemps prochain », espère l’artiste en se rappelant comment sa passion pour le théâtre s’était développée justement grâce aux activités parascolaires consacrées à cet art. La troupe La Fille Du laitier participe désormais à la démocratisation et à l’accessibilité universelle du théâtre, comme un engagement social au profit du bonheur collectif que procure cette art-thérapie dont on a tellement besoin par les temps qui courent !

JDV