Samuel Larochelle, Échos Montréal, septembre 2020
Née dans un milieu rural en 1953, une époque où les femmes avaient peu d’opportunités de gravir les échelons du monde du travail, Christine St-Pierre est devenue l’une des pionnières de sa génération. D’abord, en consacrant plus de trois décennies au journalisme à Radio-Canada. Puis, en devenant députée et ministre à l’Assemblée nationale.
Dans sa biographie, publiée alors qu’elle est encore en fonction, elle montre les coulisses de ses métiers et raconte ses exploits, sans délaisser ses échecs et les parts d’ombre de sa vie.
Le projet est apparu dans sa tête au printemps 2018, lorsque le décès de sa sœur Évelyne l’a plongée dans ses souvenirs de famille et ses premières années. Peu après, un ancien collègue lui a suggéré de rédiger sa biographie, en lui proposant son aide. L’écriture s’est alors révélée un exercice libérateur. « Ça m’aidait à guérir et à passer à travers mon deuil. Ensuite, en octobre 2018, un deuxième deuil s’est installé, celui de la perte du pouvoir, de mon ministère et gens avec qui je travaillais. J’ai continué à écrire et ça sortait tout seul. »
Se décrivant comme une enfant qui a grandi dans un climat de crises familiales avec un père alcoolique, une jeune adulte qui consomme des drogues à l’occasion et une étudiante peu studieuse, l’ex-journaliste n’a pas hésité à montrer la réalité. « Je n’ai jamais eu le réflexe de me dire : « est-ce que je dois montrer tout ça ? » Il faut exposer les beaux et les moins beaux côtés de la vie, du journalisme et de la politique. Montrer que je suis un être humain avec des défauts. Cela dit, certaines parties de ma vie ont été mises de côté. Quand je parle de l’alcoolisme de mon père, je ne révèle pas tout. Les gens qui comprennent ce que c’est de vivre dans un milieu aussi dysfonctionnel sont capables de lire entre les lignes. »
Elle dit être devenue une « jeune fille sage » à l’Université de Moncton, où elle a étudié la sociologie et la psychologie, avant de retourner à Montréal pour débuter une maîtrise en démographie. Une aventure qui a duré seulement quelques mois. « Mon conjoint étudiait encore à Moncton. Pendant l’été, on m’y a offert un job de recherchiste à Radio-Canada. Tout de suite, je me suis sentie chez moi. J’adorais l’ambiance d’une salle de nouvelles. Finalement, je suis restée un an. Je suis allée travailler à Québec. Et une réalisatrice m’a suggéré d’essayer le journalisme. » Ses débuts comme reporter l’ont enchantée. « C’est une profession excitante et pleine d’adrénaline. Tu es là où l’histoire s’écrit. Au palais de justice, tu vois plein d’affaires qui touchent toutes sortes de milieux, des riches et des pauvres, des criminels et des victimes. C’est de la sociologie de terrain. »
Couvrant avec passion les faits divers, la politique municipale, provinciale et fédérale, avant d’être correspondante à Washington, elle est rentrée à Montréal en 2005 avec le sentiment que les bulletins de nouvelles au Québec étaient paroissiaux. « Quand tu es à Washington, tu couvres la plus grande puissance mondiale. Avec l’atmosphère de la ville et les gens que tu rencontres, tu te sens au cœur de la planète. À l’inverse, les enjeux du Canada ou du Québec ne sont pas couverts par tous les journalistes étrangers. Souvent, les correspondants – et les expatriés de la diplomatie – reviennent au pays en vivant une grosse déprime. Le choc est très grand. Personne ne nous prépare à ça. »
Sous cette déprime se cache l’impression d’avoir fait le tour du métier et un désir de prendre parole, plutôt que de s’en tenir à la sacro-sainte impartialité journalistique. En 2006, lorsqu’elle publie une lettre d’opinion en appui à la mission canadienne en Afghanistan, ses patrons la réprimandent et la regardent d’un autre œil. Elle-même change de vision sur son futur. Quand l’offre de devenir candidate pour le Parti libéral du Québec survient, elle saisit l’occasion. Le 14 février 2007, la fille d’un fier « bleu» de l’Union nationale, qui a pour sa part voté deux fois « oui » aux référendums, devient officiellement une « Rouge ». « Les Québécois ont dit non deux fois aux référendums, et je n’ai pas le goût de revivre ce drame humain déchirant. Personnellement, je n’étais pas séparatiste, mais nationaliste : je veux que le Québec ait sa place dans le Canada. Et la philosophie du PLQ me rejoint. C’est un parti qui veut avoir tous les Québécois autour de lui. J’ai aussi été happée par la passion et l’énergie de Jean Charest, que j’ai toujours aimé. »
Racontant au début du livre son premier contact traumatisant avec la politique, alors qu’à sept ans, elle a vu un feu allumé devant la maison familiale par des adversaires politiques qui voulaient narguer son père, Christine St-Pierre a longtemps cru que la politique était trop cruelle pour elle. Osant néanmoins y faire sa place, elle a vécu une série de victoires, de gaffes, d’accomplissements et de moments traumatisants, en tant que députée et ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, ainsi que des Relations internationales et de la Francophonie. Si bien qu’elle trouve la politique pire que ce qu’elle imaginait. « Ça fait excessivement mal. En tant que journaliste, mes reportages n’ont jamais soulevé la controverse et je n’ai jamais été attaquée personnellement. En politique, quand tu fais une erreur ou une déclaration boiteuse, la réaction est immédiate et les effets rejaillissent négativement sur ton équipe. Tout le monde reçoit la secousse. Pour passer à travers ça, il faut se développer une carapace. Et ne jamais perdre de vue les bons côtés, lorsque tu accompagnes ton monde et que tu les aides à dénouer des impasses, avec le sentiment d’être utile à quelque chose. »
« Ici Christine St-Pierre – De l’école de rang au rang de ministre » (Septentrion) est présentement en librairies