Selon le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, les circuits neuronaux se font par des activités d’apprentissage et se défont par l’inactivité. Le dispositif cérébral s’use quand on ne s’en sert pas.

LA DÉMENCE N’EST PAS NÉCESSAIREMENT UNE FATALITÉ

Normand Gagnon, Autour de l’Île, l’Île d’Orléans

Selon les experts scientifiques réunis au sein d’une commission d’étude constituée sous l’égide de la revue médicale The Lancet, la survenue de la démence pourrait être empêchée ou retardée si nous agissions sur certains facteurs de risque modifiables, c’est-à-dire ceux sur lesquels il est possible d’avoir prise. Ces chercheurs proposent en effet un modèle incorporant des facteurs de risque disséminés sur une bonne part de la durée de la vie et non pas seulement ceux associés au grand âge (voir le schéma). Le modèle possède ce grand intérêt d’identifier, pour les étapes déterminantes de la vie, les facteurs de risque relatifs à la démence, mais aussi de leur associer une estimation quantitative des «chances» de survenue en présence de ces facteurs. Cela permet de travailler en aval du problème sur des paramètres spécifiques et potentiellement modifiables. Un grand espoir, car leurs calculs montrent que plus du tiers des cas de démence pourraient être évités par une série des mesures préventives.

Les facteurs potentiellement modifiables
Un premier facteur de risque déterminant est le bas niveau d’éducation. Il semble en effet que cette situation induirait une vulnérabilité au déclin cognitif (voir le glossaire), ce qui s’expliquerait par le bas niveau de la réserve cognitive. L’INSERM définit cette réserve comme étant le résultat «d’une stimulation intellectuelle prolongée tout au long de la vie, des apprentissages ou encore de relations sociales épanouies»; ces derniers auraient comme effet d’augmenter le nombre de connexions fonctionnelles entre les neurones et, de ce fait, de compenser les pertes neuronales inévitables associées au vieillissement. Les personnes plus éduquées seraient affectées plus tardivement − sinon jamais − par la neurodégénérescence.

Un autre facteur important et surprenant est la perte auditive périphérique d’autant plus déterminante qu’elle survient à des degrés divers chez 32% des personnes âgées de 55 ans et plus. Si la relation causale entre cette perte et le déclin cognitif n’est pas établie, il est pour l’instant présumé que le phénomène pourrait provoquer des changements au cerveau accentuant ainsi une fragilité déjà installée.

D’autres facteurs, mieux connus, car on sait déjà leur influence sur la santé en général, interviennent aussi dans l’apparition de la démence; on distingue notamment l’activité physique qui se révèle être un agent de protection contre le déclin cognitif. Le diabète, l’hypertension et l’obésité, réunis ou pas, indiquent un mauvais état de santé général, ce qui n’est pas sans influencer le fonctionnement du cerveau. Également, selon les nombreuses études réalisées sur la question, la dépression est aussi un facteur de risque si elle survient environ dix ans avant l’apparition des premiers symptômes de la démence. Enfin, les personnes ayant peu de contacts sociaux présenteraient un risque non négligeable de pertes cognitives, notamment parce qu’elles sont
plus exposées à diverses maladies qui exercent une influence sur l’avènement de la démence, en plus d’être moins actives sur le plan intellectuel; ces paramètres rejoignent ceux précédemment mentionnés.

De ce qui précède, on peut conclure que pour diminuer les risques d’être affecté par la démence, il faut intervenir tout au long de la vie par diverses mesures dont l’élimination des facteurs de risque identifiés plus haut. L’observation de cette consigne n’est toutefois pas une garantie absolue puisque l’hérédité jouerait un rôle prépondérant. Notons toutefois, en terminant, que malgré la grande envergure de l’étude citée, celle-ci reste lacunaire en ce sens qu’elle n’a pas pris en considération des facteurs reconnus comme des déterminants de la santé, notamment l’alimentation, la consommation d’alcool, la qualité de l’environnement.