LE NOUVEAU LANGAGE des médias

Michel-Pierre Sarrazin, Ski-Se-Dit, Val-David

Depuis qu’un milliard de personnes fréquentent activement Facebook chaque mois, la notion de nouvelle, jadis transmise avec un délai variable par les médias officiels, a changé.
La nouvelle est devenue un produit de consommation rapide universel. Portée par la vidéo virale, elle n’est plus hiérarchisée selon l’importance que lui accordaient traditionnellement les journalistes. L’instantanéité est la règle, quel que soit l’endroit où la nouvelle surgit, quelle que soit sa nature. Inondation catastrophique, attentat, naissance de quintuplés, manifestation, déclaration politique, fête, découverte scientifique : tout est nivelé par le facteur durée, intensité, virtualité. Sur cette échelle, le journalisme traditionnel est largué. Tout le monde devient producteur d’information, avec plus ou moins de rigueur. Ce bruit continu, cette rumeur, c’est un peu le contraire d’une certaine organisation du savoir qui est le fondement d’une culture. Le brouet de ce mélange permanent des infos ne peut produire qu’une certaine inquiétude chez le citoyen, qui ne sait plus ce qui a du sens, de la valeur, du poids dans sa vie. Certains experts tentent de circonscrire le phénomène. De nouvelles méthodes de traitement de la nouvelle, épurée par l’analyse et la recherche de sources fiables, ont vu le jour. En même temps que s’érige un nouveau Moyen-Âge dont la croyance principale est nourrie par ces cathédrales du « brain data» que sont les plates-formes Internet, un nouveau langage s’inspirant de la démarche scientifique est en train de naître, une nouvelle bible du savoir. Une nouvelle religion du sens commun, en quelque sorte, un foyer de résistance à la flambée médiatique du n’importe quoi, autrement dit du chaos permanent.
Dernièrement dans La Presse+, un de ces experts, Jean-François Dumas*, proposait une analyse intéressante de la nouvelle… nouvelle. Voici, en résumé, quelques-unes de ses conclusions.

• La peur est la valeur dominante de l’actualité. La peur du terrorisme, du Zika, des étrangers, de la criminalité, de Donald Trump. Elle est le principal vecteur d’intérêt au Québec. […] Le phénomène, qui n’est pas nouveau, a connu une croissance de 300 % entre 2001 et 2016. Les réseaux sociaux ont joué un rôle d’amplificateur important dans ce phénomène.
• L’affaiblissement du discours intellectuel dans les médias et la montée de l’opinion constituent un terreau fertile pour la croissance du populisme. Des idées-chocs, basées sur un raisonnement ténu, qui visent avant tout à répondre à des préoccupations citoyennes en favorisant l’antagonisme. Voilà les bases parfaites pour encourager l’intolérance, quelle qu’elle soit.
• Les réseaux sociaux et les médias d’opinion nous servent de plus en plus un discours qu’encore tout récemment on croyait étranger à nos valeurs. Il est maintenant de bon ton de ne plus croire nos politiciens, nos institutions, notre police et même nos médias. Dans un autre texte sur le même sujet, le journaliste à La Presse Marc Cassivi explique le danger des fausses nouvelles. Il cite ses sources :
• Le magazine américain Pacific Standard[a fait] état d’une étude de l’Université de Gand, en Belgique, publiée dans la revue Intelligence, sur la prégnance des fausses nouvelles. […] Les résultats de l’étude, sans surprise, témoignent du fait que moins les capacités cognitives des lecteurs sont grandes, moins sont grandes les chances qu’ils révisent leur jugement sur une situation donnée après une précision ou un correctif apporté à une information erronée. […] Les faits alternatifs, concluent les chercheurs, ont une grande influence auprès d’une couche de la population incapable de faire abstraction de sa première impression d’une situation, même après des faits nouveaux. En d’autres termes, une fausse nouvelle ne peut pas être oubliée facilement par tout le monde. Elle fait plus de ravages chez certains esprits obtus, imperméables aux nuances, précisions et autres rectificatifs. […] Une étude de l’Université d’Oxford publiée en juin 2017 et menée pendant deux ans dans neuf pays, notamment au Canada, a démontré l’efficacité des médias sociaux à relayer de fausses nouvelles et manipuler l’opinion publique.
Comment distinguer le vrai du faux? questionne Marc Cassivi. En exerçant son libre arbitre et son esprit critique, bien sûr. Et en faisant confiance aux médias dignes de ce nom.