Emmy Lapointe, Le Mouton Noir, Rimouski
Le Journal d’un réfugié de campagne est l’œuvre la plus récente de Jean Bédard. L’essai paru chez Leméac en octobre dernier réussit un tour de force : conforter et confronter. Il y a la littérature qui nous divertit, qui nous conforte dans ce que nous pensons, dans ce que nous sommes. Et il y a la littérature qui confronte, celle qui devrait, pour reprendre les mots d’un certain Kafka, « être un coup de hache qui fend la mer gelée en nous ».
Jean Bédard aussi parle de la mer, mais de la mer qui ne s’arrête plus d’inonder les côtes à cause des glaciers qui fondent. Alors, à cinquante ans et quelques printemps, l’essayiste et son épouse ont décidé de quitter la ville pour « relancer une ferme à l’abandon avec l’aide de jeunes gens ». Ils sont, selon l’auteur, des « réfugiés volontaires en transition vers une société meilleure ». Sur le coup, l’expression « réfugiés volontaires » m’a un peu choquée. En fait, elle me choque encore parce qu’à mon sens, un réfugié, qu’il soit politique, économique ou environnemental, n’a pas vraiment le choix de partir. C’est un peu une question de survie.
Quand j’ai lu le prologue de l’essai de Jean Bédard, je me suis dit : « Pas encore un texte alarmiste qui balance des chiffres terrifiants qu’on ne comprend même pas ». Ça m’a peut-être pris une dizaine de pages avant de réaliser que le livre ne parlerait pas de rudesse et de laideur, et qu’il s’y opposerait même. Parce que mettre de l’avant la beauté, la tendresse, c’est aussi le rôle de la littérature. « Avons-nous réussi à trouver la beauté de la vie? Celui qui ne trouve pas belle la vie la détruit. Trouver absurde plutôt que beau mène au suicide. Et le suicide collectif par immolation dans les gaz carboniques n’est pas plus intelligent que la manie de se faire sauter en tuant le plus de monde possible. »
Sur une centaine de pages, on suit les saisons qui se remplacent une à une, sans qu’aucune ne devienne « la dernière, mais non la moindre ». Une œuvre à lire avec un ouvrage de référence sous la main, les repères culturels et historiques sont nombreux (presque autant que les points de suspension…). Simplicité étonnante d’un style à la fois dépouillé et foisonnant, ce qui apparaît comme une contradiction au départ, mais qui cesse de l’être dès qu’on a lu les premiers chapitres.