Joel Lelièvre, Le Mouton Noir, Bas-Saint-Laurent
Le musicien livre son album le plus accessible à ce jour, mais qu’en est-il de sa pertinence?
Éric Normand lançait récemment L’Avant-garde-robe. Flanqué de multiples collaborateurs, il empoigne manches et micro pour quarante minutes de chanson. Avec ce format, le long jeu se présente comme une suite logique au précédent Bravades, paru il y a deux ans.
Éric est une figure incontournable de la scène musicale locale, notamment par son penchant anticonformiste – « tenace » ou « intransigeant », selon qui s’exprime au vox pop… Son œuvre ne laisse personne indifférent. Mérite est dû : la pop frappe fort et ratisse toujours plus large; ramer dans une autre direction exige une détermination, une foi, une passion incroyable, surtout quand on choisit, en tant qu’artiste, de planter son drapeau en région éloignée. Par ses multiples chapeaux (gestionnaire de l’organisme Tour de bras connu pour ses RMS ̶ Rencontres de Musiques Spontanées, co-fondateur du GGRIL ̶ le Grand groupe régional d’improvisation libérée ̶ et producteur de spectacles, pour ne nommer que ceux-ci), Éric Normand soutient des langages musicaux jeunes et moins jeunes qui souffrent d’un manque de visibilité.
Mais quand « Éric Normand » devient « Éric Normand chante », à quoi a-t-on à faire, exactement?
Difficile à dire.
La confusion s’installe dès le titre, qui force la collision d’ « avant-garde » et de « garde-robe ». Remarquez que c’est ce qui, musicalement, vous est offert : le côté effronté, contre-culture, d’une avant-garde batifolant avec l’accessibilité, jumelé aux évocations de la garde-robe : broutilles en boîte, diverses époques, couleurs et styles qui se mélangent, une petite odeur de boules à mites, une porte accordéon.…
L’art de la pochette, avec son grand A façon Archambault et sa mention « Que des tubes! », entretient l’imbroglio qui règne sur l’ensemble des pistes. Où sommes-nous avec ce disque et où allons-nous? L’album cherche son sens jusqu’à la fin, où une inexplicable collaboration avec le duo électro La Fièvre précède un « remix » qui laisse perplexe.
À écouter ce qu’il publie sur ses Bandcamp, on comprend qu’Éric préfère – ou s’y résigne? – le dépouillement et l’esthétique lo-fi. Un goût risqué, quand on décide de se frotter ne serait-ce qu’aux avant-postes de la pop. Un plus grand souci à l’enregistrement aurait pu donner du corps au crooning léger qui porte les textes et du tonus aux instruments qui semblent bien partants, mais coincés dans un petit salon mal meublé. Tout cela sonne un peu ténu.
À cette maigreur s’ajoute une échine molle, un autre symptôme plutôt inquiétant, en pop. En effet, quelle trame lie les neuf morceaux proposés? Entre austérité et bonhomie, l’album tergiverse et, finalement, échoue à démontrer sa pertinence, à insuffler un goût de revenez-y. Qu’est-ce qu’Éric avait à dire – ou désirait générer comme émotions – en accouchant de cet opus, et à qui s’adresse-t-il au juste?
Je ne suis pas perdu, mais j’ignore ce que je visite. La garde-robe avant-gardiste d’Éric est un lieu biscornu. Qui exige probablement un guide pour le commun des mortels.