Photo : Louis Charles Dumais

Quand l’art rencontre l’itinérance

Gaétan Prince, camelot métro Bonaventure, L’Itinéraire, Montréal, le 1er avril 2017

Yves Boone signe Y-finit y (prononcé « Why-finity »). « Y » comme génération Y, comme why, représentation d’un questionnement permanent sur notre monde, comme Yves. Artiste multidisciplinaire né en Belgique, il se définit par sa conscience sociale et par ses œuvres à la personnalité éclatée. Encore peu connu au Québec, Y-finit y s’apprête à dévoiler le projet Regards sur rues, une série de photographies, reflets de l’itinérance à Montréal, dans le cadre du lancement de son premier album, Envol. Soutenu par Life is Perfect, un organisme qui vise à recueillir des fonds grâce à des actions et à des événements artistiques, la vente de chaque pièce de cette exposition servira à réaliser les rêves des itinérants photographiés.

 

Comment vous est venue l’idée d’un tel projet photographique?

Je suis venu une première fois au Canada en 2010. À cette époque, je trouvais qu’il y avait déjà beaucoup de personnes à la rue. Deux années plus tard, j’ai été marqué par ta recrudescence du nombre d’itinérants. Comme artiste, l’idée de réaliser un tel projet était avant tout de proposer un regard plus juste sur ce que vivent les itinérants. Je pense que la majorité des gens en ont une vision faussée parce qu’ils détournent le regard, essayent de ne pas voir cette réalité.

Je voulais aussi montrer qu’il y a une beauté derrière ces personnes. Montrer que ce n’est pas parce qu’elles sont à la rue qu’elles sont moins intelligentes que nous, ou encore, qu’elles ont moins de rêves que les autres. Alors, on a cherché à les mettre en valeur et les aider à réaliser un rêve. Pour pouvoir le faire, nous vendons les photos de l’exposition. Et l’argent est récolté par t’organisme Life is Perfect, créé très récemment. Cette association est une manière de mettre un regard moins manichéen sur les choses. Je suis souvent parti en mission humanitaire par le biais de structures qui n’étaient pas les miennes. Alors j’ai voulu en créer une pour pouvoir regrouper tout mon travail socio humanitaire auprès de toutes les populations, sans distinction.

Qui sont les personnes de l’exposition Regards sur rues?

Nous étions deux à travailler sur ce projet pendant deux mois, moi et Louis-Charles Dumais, un photographe. Le défi était de trouver des personnes sur le terrain, d’échanger avec eux et de découvrir leur vie. Il fallait également que ces personnes puissent être recontactées par la suite.

Alors, nous sommes tout simplement partis à la rencontre des itinérants, dans la rue. Parfois, on passait un après-midi complet avec eux. Parfois, juste quelques heures. Les personnes se sont vraiment ouvertes à nous et ont pleinement participé à ce projet. Au fond, c’est autant le leur que le nôtre.

Malheureusement, nous n’avons pas pu intégrer toutes les personnes que nous avons rencontrées ; certaines ne le voulaient pas et d’autres n’avaient pas la situation sociale adéquate. Par exemple, nous avons rencontré quelqu’un qui quêtait, mais elle était également propriétaire. Pour moi, il y avait un manque de cohérence entre son profil et ceux des autres participants.

Je pense que la première approche a été la plus difficile parce que Louis-Charles et moi sommes des personnes assez timides et réservées. Par contre, j’ai pour ma part l’avantage d’être à l’aise avec ce public parce que mon père s’est retrouvé dans cette situation. Mais je pense que le plus gros défi nous attend : réaliser les rêves des participants.

 

Est-ce l’histoire de votre père qui vous a donné cette conscience sociale?

J’ai grandi au sein d’une famille de classe moyenne côté maternelle. De l’autre, j’ai pu voir les difficultés traversées par mon père, sans domicile fixe pendant de longues années. Son parcours de vie a été très compliqué. Mes parents étaient divorcés et moi, j’étais à l’intersection.

Ça m’a permis d’observer le regard des uns sur les autres. Celui de la classe populaire sur la classe défavorisée. Et vice versa. C’est ce qui m’a forgé une conscience sociale assez tôt. Par la suite, j’ai beaucoup évolué dans le milieu éducatif, j’ai commencé en récoltant des dons pour les personnes dans le besoin, au sein d’un organisme similaire à Renaissance. J’ai aussi participé à des missions internationales en Afrique (Madagascar, Sénégal). Je n’ai d’ailleurs jamais fait de voyages touristiques.

Le projet Regards sur rues nous a énormément apporté. Certaines rencontres étaient très intéressantes d’un point de vue spirituel et philosophique. De belles rencontres humaines, sans barrières ni retenues à la différence des relations entretenues dans la société pour lesquelles il faut bien s’habiller, bien parler, etc.

Cette aventure n’a pas enrichi ma vision de l’itinérance différemment de celle que j’avais déjà. Par contre, elle a confirmé ce que je savais: qu’il y a de très bonnes personnes à la rue. À certains moments, je me suis d’ailleurs senti très petit.

 

Existe-t-il des différences entre l’itinérance à Montréal et celle en Belgique?

Je pense qu’il n’y a pas de différence fondamentale. Au Canada, il me semble que plus d’itinérants sont d’origine canadienne plutôt qu’étrangère tandis qu’en Belgique, beaucoup d’itinérants sont issus de pays étrangers, surtout des pays de l’Est. Je pense que c’est la principale différence. Si l’on regarde les personnes avec lesquelles nous avons réalisé ce projet, seules deux d’entre elles étaient étrangères. Le pourcentage aurait vraiment été différent si l’on avait fait ce travail en Belgique.