Être un roger-bontemps

Lise Marcoux, D’un lac à l’autre, Lac-Bouchette, mars 2017

Il est de ces expressions qui traversent le temps et l’on se demande parfois d’où elles proviennent. L’autre jour, j’étais chez ma fille et elle disait de quelqu’un qu’il est un roger-bontemps. Mon gendre réplique : « Vous avez de ces expressions, vous autres! » en parlant de notre famille. Rendue à la maison, ça me chicote. Pourquoi Roger et pas un autre? Pourquoi pas Réal, Rémi, Réjean? Ça sonne mieux, il me semble…

J’adore le français, c’est une langue riche et pleine de subtilités, une langue vivante qui s’enrichit année après année de nouveaux mots. J’aime jongler avec les mots. Il y a tellement de façons de les agencer. Alors, je me suis dit : « Allons voir ce que Le Petit Larousse et Le Petit Robert ont à dire sur ce sujet. »

Je cherche d’abord les mots « bon », puis « temps », puis « Roger », mais rien, dans un cas comme dans l’autre. Alors, je vérifie les noms propres, il y a bien un monsieur Bontemps, mais c’est Pierre, né en 1507, et non Roger. D’ailleurs, dans le cas de Roger, pourquoi Bontemps serait-il un nom de famille, je me le demande? Je n’ai pas accès à d’autres documents sur papier. Je dois donc me tourner vers Internet. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que Bontemps s’écrit effectivement en un seul mot! Eh bien ça, je ne m’y attendais vraiment pas! Ah! il faut dire que c’est un surnom, car Roger était un joyeux luron, semble-t-il. Selon Wikipédia, Roger Bontemps est le surnom donné à un certain Roger de Collerye, né en 1468 et décédé en 1536. Il était prêtre et agissait à titre de secrétaire de l’évêque d’Auxerre. On le croit natif de Paris. On le décrit comme un homme d’humeur joviale et il aurait présidé, semble-t-il, à Auxerre, une société facétieuse sous le sobriquet d’abbé des fous. On lui doit, entre autres, des pièces de théâtre, des complaintes, des rondeaux, des ballades et des poésies grivoises et satiriques, voire obscènes.

Pour sa part, Fleury de Bellingen (milieu du XVIIe siècle) pense que l’expression provient d’un seigneur nommé Roger, de la famille de Bontemps, dans le Vivarais, homme sans souci, fort estimé pour sa valeur, sa belle humeur et grand amateur de bonne chère. Dans Le Littré (1880), un dictionnaire ancien paru à la fin du XIXe siècle, ouvrage d’Émile Littré, ce dernier adhère à cette théorie. On y retrouve notre fameux Roger : Je suis encore une jeunesse… et d’humeur folichonne, un rogerbontemps (Marivaux. L’Épreuve, scène 2).

Par contre, dans la plupart des écrits anciens, on retrouve la version traitant de Roger de Collerye. Selon les textes, l’opinion la plus accréditée et la plus probable est cette dernière qu’on attribue à l’abbé Jean Lebeuf (1687-1760), prêtre, historien et érudit français.

Roger Bontemps apparaît plusieurs fois dans la littérature française. Ainsi, on le retrouve dans une pièce d’André Rivoire (1872-1930), poète et dramaturge français. On l’évoque également dans un poème de William Makepeace Thackeray (1811-1863), un romancier anglais du XIXe siècle.

L’expression « roger-bontemps » est passée dans la langue française pour désigner une personne de belle humeur, un joyeux drille. On le trouve écrit indifféremment : roger-bontemps, Roger-bontemps et même Roger-Bontemps. Le nom est masculin. Ainsi, on dira de Françoise qu’elle est un roger-bontemps. Aujourd’hui, les expressions les plus courantes pour référer à lui sont :

Un gros roger-bontemps.
C’est un vrai roger-bontemps.

Il est vraiment impressionnant de voir des expressions qui ont traversé l’Atlantique et qui, près de 500 ans plus tard, ont su rester vivantes. C’est sûr que nos ancêtres proviennent pour la plupart de France. Alors, c’est bien logique que les expressions aient suivi. Mais que siècle après siècle, elles perdurent, alors là…