Flambeau

Evelyne Papillon, Entrée libre, Sherbrooke, décembre 2016

Ma nièce a mis un jouet sur sa liste de Noël, un dragon qui fait de la brume colorée, Flambeau de son prénom. J’avoue, avoir été une fillette, moi aussi j’aurais capoté sur le concept. Il y a juste un petit détail, le joujou est en vente à 110$. Probablement qu’à son âge, je n’aurais pas eu la notion d’argent assez développée pour comprendre que c’est beaucoup. D’autant plus que Flambeau demande de l’eau distillée et de grosses piles, évidemment non incluses. Il fait un peu chier finalement…

Comment expliquer à ma nièce qu’avec cet argent, elle pourrait avoir une avalanche de jujubes, un kit de pâtes à modeler et machine à en faire des spaghettis, une famille de monsieur patate, une horde de bonhommes Lego? On pourrait aller au zoo de Granby à la place avec cet argent, voir de vrais animaux, qui rugissent, s’ennuient, se battent, se cajolent, comme… de vrais animaux! On pourrait apprendre des choses au zoo sur leur mode de vie, leurs caractéristiques, leur longévité. On pourrait développer le goût de les protéger.

Oui, mais Flambeau, il est mignon, il a une branche en plastique avec une guimauve en plastique qui change de couleur elle aussi quand il souffle dessus. En plus, il présente plus de 50 combinaisons de sons et de mouvements. Je suis certaine que mon chat est beaucoup plus interactif et amusant que ce dragon enflammé. Tu ne cherches pas ton affection à la bonne place, fille. Bon, je reconnais, il a de grands yeux séducteurs. Plusieurs parents se laisseront prendre.

Comme adulte, je ne suis pas mieux. Je regarde les dragons du Trône de fer et je les aime. Ils sont forts, sauvages et fidèles à leur reine en même temps. Mais ton Flambeau, il est trop docile, on dirait une pouliche. À ton âge, j’écoutais Grisu le dragon qui voulait être pompier, alors que son père avait honte de son fils et aimait enflammer son environnement, comme un dragon se doit de faire. Bon, peut-être que je comprends ta fascination pour Flambeau. Mais tu ne le recevras pas ce Noël, pas de ma part.

La magie d’avoir ton âge, c’est qu’on ne sait pas le prix des choses et un objet à un dollar peut avoir une très grande valeur sentimentale. Peut-être que je te trouverai un cahier à colorier et des crayons qui sentent les fruits. Peut-être que je t’offrirai un assortiment de bonbons ou de chocolats qui te fera tout de suite saliver. Peut-être que je t’offrirai une mousse pour le bain à la fraise. Un spectacle de marionnettes? Un film d’animation avec une morale à cinq cents t’apprenant quand même que chaque personne est unique et a une mission spéciale dans la vie?

Ça m’embête au fond de ne pas avoir assez d’argent pour t’offrir la plupart des choses qui sont sur ta liste. Mais le peu de moyens force à une certaine créativité. Et les cadeaux dont on se souvient le plus ne sont pas toujours les plus chers. Il y a de petits présents, lorsqu’ils sont bien personnalisés, qui réconfortent et vont droit au cœur. Pour ma part, en vieillissant, je peux te dire que je suis heureuse quand je reçois une paire de bas chauds. Le simple fait de voir mes proches me rend profondément reconnaissante et je n’en demande pas plus.

J’espère que tu seras gâtée d’amour, d’amitiés, de connaissances, de bonne bouffe du temps des fêtes. J’espère que tu vas apprendre rapidement les plaisirs du partage. J’espère que tu prendras conscience de la valeur du temps passé ensemble. J’espère que malgré les conflits, tu apprécieras ta famille. Tu sais, on n’a pas toujours ce qu’on veut et heureusement. C’est cela qui nous forme et nous permet de grandir.

Bon, je te parle dans ma tête depuis tantôt, c’est parce que je sais qu’il est trop tôt pour t’expliquer tout ça en personne. On va y aller une étape à la fois. Je vais te magasiner un truc simple qui te fera sourire. Si j’ai droit à cette bouche pleine de dents de lait, je pourrai crier victoire. Oh, je me rappelle l’année où tu t’es mise à pleurer parce que je t’avais offert un livre et tu ne trouvais pas que c’était un cadeau convenable. On avait beaucoup ri entre nous avec cette histoire. L’année d’après, tu demandais des livres dans ta liste au Père Noël. On ne s’ennuie jamais avec toi, ma coquine.