Dominique Gobeil, La Vie d’ici, Shipshaw, décembre 2016
Il y a quelques années, ma mère a lu dans un article qu’une clé pouvait être une bonne arme en situation d’autodéfense et a répété le truc à ses trois filles. Depuis ce temps, je tiens toujours mon trousseau dans ma main, la clé sortant comme un pic entre mes jointures à l’intérieur de ma poche de manteau, quand je marche seule vers ma voiture dans un stationnement le soir.
Je vous raconte ça parce que l’actualité a fourni plusieurs sujets pour une chroniqueuse aux penchants un peu féministes, dans les dernières semaines. Certains sont loin d’être pertinents, comme le débat sur la qualité d’une artiste en se basant sur les vêtements qu’elle porte. Au moment où vous lirez ces lignes, on aura sûrement arrêté de faire tout un plat de ces histoires, mais justement, il me semble que certains enjeux méritent d’être ramenés à notre mémoire de temps en temps.
Des individus s’introduisent dans des chambres de résidences universitaires, un politicien est éclaboussé dans un scandale d’agression sexuelle, et tout d’un coup, la population se fait donner un cours de sociologie par l’apprentissage de l’expression culture du viol. Au début, quand j’avais à parler du phénomène, j’hésitais à employer ces termes. Je trouvais ça trop fort et je disais plutôt «comportements soutenant la violence envers les femmes». Finalement, je me suis rendu compte que ça faisait exactement partie de la définition du concept, alors tant mieux si l’expression, choquante, fait réagir les gens. Ça les sensibilise à la situation du même coup.
J’ai un ami qui trouvait que c’était exagéré. «C’est triste pour tous les hommes au Québec qui sont respectueux envers les femmes», me confiait-il. Je lui ai demandé si sa mère l’a déjà forcé à prendre des cours d’autodéfense, ou s’il se promène en maniant ses clés comme des poignards. «Tu fais ça?», m’a-t-il répondu tout étonné.
C’est un peu ça, la culture du viol. Le fait qu’un homme n’aura jamais, ou presque, besoin de se préoccuper du chemin qu’il doit emprunter s’il est mal éclairé, ou s’il longe une boîte de nuit, ou s’il…
C’est drôle, parce que ce même ami est un fervent amateur de Donald Trump, un des rares Québécois, paraîtrait-il. «Tu as de drôles d’amis», me direz-vous. Rassurez-vous, ce n’est pas pour ses propos sexistes qu’il adore le nouveau président américain, mais pour ses idées économiques. Quoi qu’il en soit, c’est beaucoup plus facile pour un homme, il me semble, d’oublier les paroles troublantes de Trump pour endosser son programme politique, que pour une femme.
Pendant qu’on y est, j’en profiterais pour partager mon désarroi quant à la façon dont nous, les Canadiens, avons suivi cette campagne. Il me semble qu’on a pris plus à cœur les élections américaines que celles ayant cours dans notre pays et notre province. J’ai vu des amis capoter pour Trump, et je ne suis même pas certaine qu’ils sont allés voter au dernier scrutin. Pourtant, avec des partis constamment accusés de corruption, des coupes à n’en plus finir et des mesures douteuses pour l’environnement, on aurait tout autant matière à s’inquiéter, sinon plus, puisque ça nous concerne directement.
Bref, au moins, on a l’air de sortir un peu grandis de tout ça. On s’interroge sur nos pratiques politiques, sur nos comportements de société. Et peut-être qu’un jour, une fille ne lira pas cette chronique, en fouillant dans des archives, en se disant que c’est une bonne idée de se servir de ses clés comme d’une arme.