Joel Lelièvre, Le Mouton Noir, Rimouski, novembre-décembre 2016
Après plusieurs années à faire ses armes, Isabelle Cadieux-Landreville, alias Isabelle Charlot, enfant d’ici, nous livre un premier album : Exil. Bien tassé, le EP tout pastel propose quatre pièces pour près d’une demi-heure de mélopées.
Pour immortaliser ses pièces, Charlot s’est offert les services du multi-instrumentiste et réalisateur rimouskois Antoine Létourneau-Berger (Talfast, Equse). L’homme réalise et mixe un album sans prétention, tour à tour ample et intimiste, qui fait la belle place aux troubadours et laisse respirer les arrangements.
Même si l’accordéoniste rompue au piano-jazz signe musique et paroles, il n’en demeure pas moins que l’offrande est au final un effort concerté, un trip d’amis portés par la connivence : en plus de Létourneau-Berger aux tambours, six musiciens se joignent aux festivités. Une belle équipe, pour un petit album qui sonne gros et grand, sans tomber dans les excès de fanfare ou le délire manouche.
Mais le plaisir est palpable! On part à l’aventure avec tout le bagage et la maturité que la jeune musicienne a accumulés avant d’enfin se lancer dans son aventure studio. On traverse la frontière de son monde comme on trébuche dans un piège klô-pelgagien. Au menu : envolées lyriques, bribes oniriques, soleil, rosée et un petit arrière-goût de cirque. Tout fonctionne – mais on marche sur le fil de fer entre l’ode inspirée et ces pétarades vive-la-vie éculées qui caractérisent souvent le genre.
En fait, ce qui rend le plus grand service à Charlot, ce qui sauve son projet de l’écueil que frappent de nombreux autres groupes semblables, c’est sa capacité à forcer le style gipsy-swing hors de ses ornières en y ajoutant des épices chorales, progressives, voire post-rock poli. La compétence et le savoir musicaux sont là, aucun doute. Ne lui reste maintenant qu’à parfaire sa plume, qui connaît autant de maladresses que de petites perles.
Toutes sortes de détails confirment le talent de Charlot, mais ce sont les passages chargés auxquels répondent avec justesse des sections plus aériennes qui frappent d’emblée. Le va-et-vient contribue à verser chaque morceau dans l’autre, tout en subtilité. Impossible de manquer la structure des trois premiers morceaux (qui oscillent autour de huit minutes chacun), structure qui déroute juste assez, tout en générant un sympathique espace hors du temps où les ombres et courants d’air se font rares.
Avec ce EP, les normes d’un genre bien connu et toujours autant apprécié au Québec rencontrent l’impulsion d’une génération qui refuse la recette et fait du décloisonnement un nécessaire loisir. Au final, Exil vaut le temps qu’il demande. Et notre expatriée est tout aussi assurée que sa fuite, elle, semble improvisée! On arrive à destination avec un léger tournis et les commissures haussées. Encore plus d’épices la prochaine fois?