Amine Esseghir, Journal des voisins, Ahuntsic-Cartierville,
mai 2025
À Ahuntsic-Cartierville, un comité de toponymie a recensé près d’une cinquantaine de parcs qui ont besoin d’un nom. Autant d’occasions pour inscrire l’histoire dans la géographie.
« On a mis en évidence les doublons – les parcs et rues qui ont le même nom. On en a 47 exactement », annonce Diane Archambault-Malouin en entrevue avec le Journal des voisins (JDV). Elle est membre désignée par la Société d’histoire du Domaine-de-Saint-Sulpice pour siéger au Comité consultatif local du patrimoine et de la toponymie d’Ahuntsic-Cartierville (CCLPT).
De quoi rattraper les oublis et favoriser les réconciliations, notamment avec les femmes et les Premières Nations, et mettre à jour en permanence l’histoire d’une société.
Trouver des noms de rues et de places n’a rien d’un geste purement administratif. Ces dernières années, c’est la volonté de féminiser un peu plus les lieux qui a primé. La moitié de la population est très peu représentée dans la ville. Il fallait alors disposer d’une liste de noms de femmes avec leur biographie appelée du doux nom de Toponym’elle.
« Toponym’elle a été mise en place par la Ville à l’occasion du 375e anniversaire de Montréal. On avait demandé à des gens d’envoyer des noms. Effectivement, c’est bien d’avoir des banques de toponymes, de ne pas avoir chaque fois à chercher », souligne Mme Archambault-Malouin. Cette démarche a donné lieu à des reconnaissances heureuses, comme celle qui a mis en lumière le rare talent d’Yvette Brillon.
Trébucher sur la rue
La toponymie c’est aussi raconter l’histoire en un ou deux mots, et cela peut parfois donner lieu à des couacs.
Quand le CCLPT a proposé le nom « des P’tits chars » pour une rue parallèle au boulevard Henri-Bourassa qui s’appelle également Henri-Bourassa, Nathalie Goulet, conseillère de ville d’Ahuntsic, a dû aller apaiser les angoisses des quelques riverains qui craignaient de se voir perdus dans les dédales du quartier si le nom de leur rue changeait.
« C’est compliqué de renommer une rue, parce que ça a un impact sur les commerçants et sur les résidents, observe l’élue. C’est une démarche qui doit se faire lentement. Il faut consulter quand on sent qu’il y a des petits problèmes, parce que c’est un geste fort que de nommer le territoire. » Dans ce cas, le nouveau nom visait à rappeler l’histoire des tramways.
Toutefois, le travail du comité ne sera pas vain. Une nouvelle place, non loin de la station de métro Henri-Bourassa, prendra bientôt le nom « des P’tits chars », pratiquement à l’endroit où les tramways hippomobiles terminaient leur course. Leur terminus, quoi.
L’histoire dans l’histoire
Des noms aujourd’hui populaires ne sont aussi que des vestiges d’un urbanisme qui avait besoin de localisations pratiques. Quand un propriétaire cédait des terrains pour faire des voies et des chemins, il demandait à ce que son nom soit immortalisé.
Actuellement, il y a lieu de trouver des noms qui rappellent le passé des populations autochtones dans notre secteur riche d’une histoire méconnue. Le chemin des messagers, entre le collège Mont-Saint-Louis et le cimetière du Sault-au-Récollet, près du boulevard Henri-Bourassa, fait partie de ces initiatives.
« C’est une des premières démarches de réconciliation. À Ahuntsic-Cartierville, on a une histoire là-dessus. Il faut documenter ces choses-là », observe Mme Goulet. Il faudra clarifier aussi le nom de l’avenue Durham. Rappelle-t-il le comté de Durham en Angleterre, ou bien rend-il hommage à celui qui suggérait d’éradiquer les populations canadiennes-françaises ?
Il faudrait aussi dénommer des lieux qui rappellent les origines des nouveaux résidents de l’arrondissement venus des quatre coins du monde.
Chapeau pour le Tour-du-chapeau
L’arrondissement aura été bien inspiré de donner ce nom à un petit parc situé dans un nouvel ensemble résidentiel à Cartierville. Cette désignation a été déclarée « coup de foudre de l’année » de la Commission de toponymie du Québec en février.
Le parc du Tour-du-chapeau, situé dans une boucle formée par la rue Yvette-Brillon, rappelle une expression souvent entendue lors des matchs de hockey qui traduit hat trick. Elle indique qu’un joueur a marqué trois buts lors d’une même partie, et elle a été popularisée au Québec par l’intermédiaire du chapelier montréalais Henri Henri, qui donnait un de ses célèbres couvre-chefs à tout hockeyeur qui accomplissait cet exploit au forum de Montréal.
Fait intéressant, le parc est bordé par la rue Yvette-Brillon, une nouvelle rue d’Ahuntsic-Cartierville nommée en 2020 en hommage à « la plus grande chapelière de l’histoire de la mode au Canada ».
Décrocher un prix pour de nouvelles dénominations n’est pas du tout évident.
« On apprend à travers la démarche de la Commission de la toponymie qu’il y a environ 1000 lieux par année qui ont de nouveaux noms au Québec », relève Nathalie Goulet.