Les enfants et moi – L’université

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Nicolas Proulx, Le Val-Ouest, Valcourt, 25 avril 2025

Mon père, qui a beaucoup réfléchi et écrit sur la ruralité et l’agriculture au Québec, a souffert à la fin de sa vie d’être reconnu comme un grand intellectuel. Ça faisait partie de sa modestie. Une vraie modestie. Il disait qu’il avait écourté ses études universitaires, qu’il n’avait pas publié d’études ou de livres, qu’il ne pouvait pas porter ce titre. Il ne voulait surtout pas passer pour plus intelligent qu’il se croyait lui-même. Je comprends ça. Pourtant, je suis convaincu qu’il avait souvent beaucoup plus de profondeur que certains bardés de diplômes et collectionneurs de publications.

Intellectuel ou pas intellectuel, j’ai donc grandi dans un monde où circulaient des idées. À la maison, on lisait, on s’informait. On discutait aussi. La confrontation des idées faisait partie du quotidien, pas juste l’opinion prémâchée, le préjugé attendu. Chez nous, le débat, les remises en question, la subversion parfois même étaient encouragés.

L’université, pour moi, c’était l’ultime lieu du brassage des idées. J’y arrivais donc, enthousiaste, avec ce fantasme de l’agora grec, du forum romain. J’allais enfin pouvoir jouer dans les ligues majeures du dialogue intellectuel, de l’ouverture d’esprit.

Je n’étais pas de nature rebelle, je pense. Je n’étais pas une grande gueule impertinente qui interrompt le cours à tout bout de champ pour se faire remarquer. Mais parfois, c’était tellement plate, tellement insignifiant, tellement déconnecté que je n’étais pas capable de me la fermer. Je questionnais la pertinence du cours. Ça créait des froids. Le prof, que j’imaginais pouvoir me répondre, me challenger (on est à l’université) tombait sur la défensive; les autres étudiants n’osaient pas m’appuyer, je restais planté là avec ma critique comme un pas fin. Alors, je n’allais plus à ces cours, incapable d’endurer ça. Je faisais les travaux, allais aux examens, réussissais le cours facilement (parce que si peu exigeant).

Parfois, à l’inverse, le sujet m’allumait et je posais des questions, osait une objection, un questionnement. Je voulais approfondir. Débattre, pourquoi pas? On m’a vite fait comprendre que ce n’était pas une place pour ça. Je devais rentrer dans les rangs.

Et c’est ce que j’ai fait, en me payant quand même quelques « D », incapable de ne pas remettre le contenu du cours à sa place dans mes travaux de session.

L’université a été une désillusion. Le niveau de mon programme m’a déçu. Rien à voir avec les exigeantes sciences pures du cégep. Et, surtout, le gouffre entre la théorie et la pratique sur le terrain était trop grand. Ce choc entre idées et réalité est nécessaire à mon sens, il fait partie du cheminement, mais lorsque des professeurs de didactique ou de pédagogie n’ont aucune idée du vécu en classe, de la dimension humaine et quotidienne de l’école, c’est trop, la formation perd en crédibilité.

Je garde une amertume, ça se lit.

Ceci dit, j’ai eu quelques profs inspirants. Et tous les stages ont été importants. L’essentiel, je l’ai appris dans les classes. Ce sont les enseignantes, le modèle qu’elles étaient, leur rigueur, leur énergie, leur dévouement et leur intelligence qui m’ont appris. Cette différence entre les cours et les stages était si marquée que j’en étais venu à imaginer une formation des maîtres prise en charge par des praticiennes. Donner à celles qui savent, par l’expérience, le leadership de la formation et de l’élaboration des programmes. Sortir l’université et la bureaucratie du processus. Pour moi, l’éducation n’est pas une science, c’est un vécu.

J’étais jeune, un peu carencé, un peu rebelle oui au fond, je n’ai probablement pas été juste avec l’université. Elle aurait très bien pu me dire d’aller finir mon cégep, elle m’a accueilli quand-même sur les bases de mon expérience (qu’elle m’a reconnue) et m’a finalement délivré un diplôme qui m’a permis de pratiquer mon métier, d’en vivre. J’ai pu continuer ma route. Finalement, l’université m’aura peut-être appris à me conformer. Quelle ironie!

Je termine ce texte le jour de l’anniversaire de la mort de mon père. Comme pour mon premier livre, je sens qu’il m’accompagne dans l’écriture. Qu’il m’encourage. Il demeure mon premier soutien. Je sais qu’il aurait été bien intéressé par mon regard sur ma formation. Il aurait probablement eu des objections. On en aurait discuté. Je l’entends. J’entends sa voix. Toujours.