Photo : David Leblanc

À la rencontre de Kiki et de son auteur Alexandre Dostie

Le vent sifflait doucement à travers les arbres, et le rugissement familier de ma moto résonnait sur les routes sinueuses menant à Saint-Mathieu-du-Parc. Ce chemin, je le connais par cœur, l’ayant parcouru des centaines de fois durant l’été, mais aujourd’hui, mon voyage avait une saveur différente, une mission m’attendait : je ne me rendais pas là-bas pour une simple balade, mais pour couvrir une performance théâtrale au cœur du Bistrot de Saint-Mathieu, une petite salle de spectacle nichée dans cet écrin naturel.

Je m’installe tranquillement devant Alexandre Dostie, un talentueux artiste originaire de Trois-Rivières, qui vient présenter Kiki, une oeuvre théâtrale très personnelle aux côtés de sa blonde, Noémie O’Farrell. Leur collaboration promet une performance empreinte de créativité et d’émotion. Inspirée d’un incident personnel marquant, cette première œuvre théâtrale Alexandre Dostie aborde des sujets comme la colère, la transmission émotionnelle, et la relation à l’animal. D’un geste assuré, je teste le micro, inspire doucement, puis je plonge droit dans l’entrevue. Une connexion s’installe aussitôt, celle qui naît quand les histoires s’apprêtent à se raconter.

Pourquoi ce projet de théâtre s’appelle-t-il Kiki?

L’idée m’est venue après avoir été témoin d’un homme en détresse qui grimpait dans un arbre devant chez moi pour essayer de récupérer son oiseau, un oiseau exotique qui s’était envolé. Cet oiseau avait, je pense, une valeur autant pécuniaire que sentimentale pour cet homme, qui a tout fait pour le rattraper, mais malgré ses efforts, l’oiseau est parti. De ma fenêtre, j’ai observé toute la scène. L’homme, dévasté, a littéralement “pété un plomb”. Il essayait d’appeler l’oiseau en criant “viens mon Kiki, viens mon amour”, mais l’oiseau ne revenait pas. Je me suis inspiré du nom affectueux que l’homme utilisait pour appeler son oiseau pendant toute la scène : “mon Kiki”. Ce mot simple et tendre contraste avec la violence et la colère que j’ai ensuite explorées dans la pièce.

Comment t’es-tu senti en voyant cette scène?

J’étais partagé entre l’étonnement et la tristesse. Je voyais cet homme complètement perdu, pris entre l’amour qu’il avait pour son oiseau et cette frustration immense. C’est ce mélange d’émotions contradictoires qui m’a vraiment frappé. Cet événement m’a inspiré un projet. Je me suis servi de ce moment pour créer un univers et des personnages, ainsi qu’une histoire qui tourne autour de la colère, de la transmission de cette colère et de la violence, ainsi que des répercussions que cela peut avoir sur soi-même. Ce que je trouvais fascinant, c’est que la seule émotion que cet homme avait pour faire face à cette perte, c’était la colère. Son amour pour l’oiseau passait par la colère.

Pourquoi as-tu choisi d’explorer la colère à travers cette histoire?

La colère m’a fasciné parce qu’elle peut être un mécanisme de défense. Je voyais cet homme utiliser la colère pour exprimer une douleur plus profonde, une forme de perte. Je voulais explorer comment la colère devient une manière de se protéger ou de réagir à une émotion qui nous rend plus vulnérable comme l’amour. Au début, ce projet était destiné à être un film, mais c’est ma blonde qui m’a mis au défi d’en faire une pièce de théâtre. J’ai réalisé que cette idée de film se transposait bien au théâtre, car l’action se passe essentiellement autour d’un arbre et de sa hauteur, un cadre parfait pour la scène. Je me suis donc mis à l’écrire et j’ai aussi créé un rôle spécialement pour elle.

Qu’est-ce qui t’a convaincu de transformer le projet en pièce de théâtre?

Ma blonde m’a mis au défi, et en y réfléchissant, je me suis rendu compte que l’histoire et le décor, cet arbre, cette scène presque statique mais symbolique, étaient parfaites pour le théâtre. Ça m’a permis de me concentrer sur les dialogues et les émotions des personnages plutôt que sur des mouvements de caméra ou des effets visuels. Dans la pièce, le personnage principal, Franky, a une sœur nommée Nono. Il y a également une marionnette qui incarne le perroquet, parfois visible, parfois invisible pour les acteurs. J’aimerais que cette marionnette puisse se déplacer dans l’espace, comme un oiseau.

Pourquoi Trois-Rivières comme lieu pour ce projet?

Trois-Rivières c’est une ville riche en histoire. Elle porte encore les marques de son passé ouvrier et du vide que les grandes entreprises ont laissé quand elles sont parties. Aujourd’hui, quand on se promène dans les anciens quartiers de cette ville on peut voir les inégalités sociales côtoyer une gentrification toujours plus agressive. Ce clash-là m’inspire. Ça parle d’univers différents qui se rencontrent, mais aussi de la violence sourde de l’argent et du pouvoir. Ce sont des thèmes qui sous-tendent Kiki. Quand on se sent socialement impuissant, la colère c’est parfois tout ce qui nous reste pour exprimer l’injustice. »