Félix Tremblay, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, août 2024
Ainsi, une citoyenne, Chloé Jodoin, a demandé qu’une signalisation de traverse de tortue serpentine soit installée sur la rue Saint-Pierre Ouest près du cours d’eau Mercier. Ce souhait, la Ville le réalisa finalement au printemps dernier après que Mme Jodoin eut mené, à titre personnel, une longue campagne de sensibilisation. Cette histoire illustre à merveille le phénomène que l’on nomme « fragmentation des habitats », et des efforts de conservation de la faune qui consistent à la contrer en rétablissant la connectivité.
Les écosystèmes, sont à l’image d’un filet où chaque maille est liée aux autres sans être nécessairement plus importante en soi que les autres. L’ensemble de ces mailles constitue le filet et c’est parce qu’elles travaillent ensemble que le filet fonctionne. Dans le réel, les mailles de ce filet métaphorique sont les populations écologiques, c’est-à-dire les regroupements d’individus d’une même espèce. Ainsi, mettre à mal une population en particulier n’a pas immédiatement d’effet néfaste sur l’ensemble de l’écosystème, mais cela en altère le fonctionnement. Multiplions ensuite le nombre de populations subissant des pressions et nous voilà désormais avec un écosystème de moins en moins fonctionnel, de moins en moins résilient. En somme, le filet n’en est plus vraiment un.
La santé des populations passe par leur survie et le maintien de leurs effectifs, ce qui demande que plusieurs besoins puissent être comblés par l’environnement. Ainsi, les animaux doivent se nourrir, se loger, se cacher parfois des prédateurs, avoir accès à des lieux pour s’accoupler, etc. Dans l’histoire qui nous intéresse ici, les tortues serpentines cherchent un lieu de ponte et sont, pour y arriver, contraintes de traverser une route passante, la rue Saint-Pierre Ouest. L’habitat naturel de notre tortue est victime de ce qu’on nomme la fragmentation du territoire. L’urbanisation et les aménagements humains nuisent à son cycle de vie.
S’il est vrai que, sans intervention humaine, la tortue serpentine aurait quand même à se déplacer pour rejoindre un lieu de ponte approprié, il faut rappeler qu’elle le ferait en empruntant un corridor écologique beaucoup moins dangereux que celui qui lui est offert aujourd’hui. C’est bien la moindre des choses que de chercher à reconnecter son habitat en installant une signalisation qui demande de lui prêter attention. Car bien que la tortue serpentine ne soit pas à proprement parler une espèce en danger, son habitat hautement fragmenté fait qu’elle mérite amplement son statut d’espèce à surveiller. Puisqu’elle met près de vingt ans à atteindre la maturité avant de pondre, une tortue frappée aujourd’hui est un évènement qui entraîne des conséquences à long terme loin d’être anodines. Pour la tortue qui serait écrasée d’abord, puis pour sa population entière et enfin pour l’ensemble de l’écosystème, ce qui inclut bien entendu les humains. La municipalité a donc bien fait d’écouter notre concitoyenne avertie et d’emménager un début de ce qui serait un passage faunique, soit un corridor écologique artificiel reliant les lieux essentiels au cycle de vie de la tortue serpentine.