Scott Stevenson, Le Haut-Saint-François, Cookshire-Eaton, septembre 2024
Certaines et certains dans ce monde aiment les mal-aimés : les enfants troublés, les vieux oubliés, les consœurs agressées; aussi, les coins perdus du pays, les maisons abandonnées et même les églises déconsacrées. On en prend soin, on passe du temps avec, on s’y installe, on rénove et même on y habite.
C’est le cas de trois églises à East Angus seulement.
Grégoire Ferland demeure dans l’ancienne Église catholique, Françoise Éuzénat dans l’ancienne Église anglicane, et Maxime Robert et Renée-Claude Morin dans l’ancienne église unie. Trois églises habitées dans une petite ville – un avenir bien meilleur pour ces bâtiments historiques et architecturalement importants que de les démolir.
M. Ferland a remarqué ce privilège unique aux Cantons de l’Est d’avoir plusieurs églises dans un même village. « C’est l’influence de la région, avec les Anglais » a-t-il dit lors d’une visite à sa demeure mesurant 50 par 150 pieds.
L’église catholique originale de la ville date de 1895 et a été remplacée en 1920 par la construction de l’Église Saint-Louis-de-France qu’on connaît aujourd’hui. L’ancienne a été reculée d’une rue sur des billots roulants, à la force du cheval, selon M. Ferland.
Il l’occupe depuis 2006, après que le propriétaire précédent a fait toutes les grandes rénovations et réparations nécessaires pour la rendre habitable. « Je l’ai eu quasiment gratis, ça. La ville voulait la démolir. Elle l’a donné pour un dollar à un gars. Puis le gars y’a fait la grosse job… y’a travaillé lui, y’a lavé les plafonds ! Il y a lavé ça ! » M. Ferland m’a montré, en pointant vers l’immense plafond très haut lors de notre visite, il y a deux semaines.
Dans la grande salle de l’église, M. Ferland a créé une salle d’exposition, dans l’immense cave, son atelier, et au fond de la grande salle un loft pour ses enfants et invités. « C’est ma maison, mon atelier puis ma salle d’exposition. Fait que, moi je sors pas d’ici. J’ai tout, tout, tout dans ma cabane. »
L’ancienne église unie
Pour Maxime Robert, dans l’ancienne église unie à l’autre bord de la rivière Saint-François et le grand barrage à East Angus, il y a « presque un mouvement » au Québec d’habiter les anciennes églises. Mais, « il faut avoir de l’audace », dit celui qui a travaillé avec les bâtiments patrimoniaux depuis des années. Il a défait la dernière d’Island Brook il y a quelques années, pour la revendre en espérant qu’elle serait préservée ailleurs, mais sans succès.
« Les causes perdues, là, dans notre vie, les mal-aimés, on dirait qu’on est attiré par ça. On les aime. [Cette église], on l’aime parce que c’était perdu », a raconté M. Robert. À part leur travail constant sur leur demeure, M. Robert travaille pour ce journal, Le Haut-Saint-François, et sa conjointe, Renée-Claude Morin, travaille avec les enfants ayant des besoins particuliers au Centre de services scolaire des Hauts-Cantons.
De son église, « c’est le côté sacré que j’aime », ajoute M. Robert lors de notre visite. Leur décor fait justement un mélange de maison et église, avec beaucoup d’artéfacts religieux.
L’acquisition de cette l’église n’était pas simple. Le comité local de l’Église unie, mené par Roger Heatherington, ne voulait pas laisser leur précieux lieu à n’importe qui. M. Robert et Mme Morin devaient faire leurs preuves pendant neuf mois de négociation. Parmi les demandes, c’était que le couple repeint le bâtiment autre que son blanc d’origine, pour faire une séparation psychologique avec le passé.
Alors, aimées et mal-aimées sont ces anciennes églises. Chacune porte les histoires personnelles d’innombrables fidèles du passé. Les comités chargés à en déconsacrer doivent être déchirés d’esprit avec leurs tâches, en comprenant que leur église n’est plus recherchée et centrale comme avant, mais aussi qu’elle est toujours importante et aimée par certaines et certains… comme les fidèles Mesdames Morin et Éuzénat et Messieurs Robert et Ferland d’East Angus, dans cette nouvelle ère moderne.