Vincent Di Candido, Échos Montréal, Montréal, décembre 2023
Il devient parfois difficile de comprendre la manière de penser des grands décideurs économiques. Comme par exemple le fonctionnement du système économique canadien, et plus précisément de la Banque du Canada en ces mois d’inflation galopante, qui choisit d’appliquer des taux d’intérêts très élevés.
À la base, hausser les taux d’intérêts en contexte inflationniste est un raisonnement qui se tient. Comme lorsqu’il y a pénurie de main-d’œuvre, à l’instar de la période actuelle. Il y a moins d’employés pour aller chercher / distribuer les ressources, et donc moins d’offre disponible sur le marché de consommation. Conséquemment les prix gonflent, contribuant à un cercle inflationniste. Hausser les taux d’intérêts permet théoriquement de limiter les moyens d’emprunt des consommateurs, et vient donc mettre un frein à la demande exagérée d’un rythme de consommation excessif. Cela aide ainsi à réguler le déséquilibre du marché et permet même de corriger certaines bulles financières pouvant s’avérer malsaines financièrement à long terme. On en a d’ailleurs un parfait exemple avec la folie immobilière des dernières années.
Sauf qu’à force de hausser sans arrêt et à l’excès les taux d’intérêts, on en vient à franchir une limite au-delà de laquelle la mesure devient carrément contreproductive. Et c’est cette limite que semble vouloir allégrement franchir la Banque du Canada. Le marché économique est en stagnation ; le marché immobilier est au point mort ; on assiste à une baisse de la vente de véhicules et du commerce en général (ne vous laissez pas leurrer par l’illusoire frénésie du Temps des Fêtes) ; les tarifs d’essence sont souvent prohibitifs et les prix du panier d’épicerie sont au plafond. Bref, les citoyens sont financièrement plus stressés que jamais et le mood global est à la morosité. Sans compter que, avec moins de rentrées d’argent et des citoyens déjà écrasés par le coût de la vie, les finances publiques s’en trouvent elles aussi appauvries.
À cela s’ajoutent de nombreuses perturbations géopolitiques comme la guerre illégitime menée par la Russie en Ukraine, qui va bientôt tristement célébrer son 2e anniversaire ; ou le conflit plus récent et tout aussi préoccupant entre Israël et la Palestine ; et qui contribuent à alimenter l’incertitude socioéconomique mondiale. On s’en voudrait également de ne pas mentionner la rapacité mercantile des grands conglomérats industriels et des entreprises multimilliardaires, les raffineries, les grossistes de l’alimentation, les compagnies pharmaceutiques. Bien qu’ils essaient pathétiquement de nous faire croire qu’ils sont tous tributaires des soubresauts de la chaîne d’approvisionnement globale, tous ces fournisseurs de produits de première nécessité ont fait des profits record en 2023, battant une année déjà lucrative et féconde en 2022. Bizarre comment l’inflation ne semble pas les affecter eux. Et dommage qu’ils n’aient apparemment jamais le réflexe de profiter de leurs profits faramineux pour baisser les prix.
Pour en revenir aux taux d’intérêts, beaucoup de pays, comme l’Australie notamment, ont choisi de ne pas augmenter ceux-ci, optant plutôt pour laisser l’économie s’auto-réguler et s’ajuster d’elle-même quand nécessaire. Or, les résultats sont probants avec une diminution notable des effets inflationnistes. Mais bien sûr, pour que cela fonctionne, il faut aussi que les consommateurs soient capables de s’auto-discipliner, ce qui ne semble pas être une tâche gagnée d’avance au niveau des consommateurs nord-américains. Au contraire, ici les ménages semblent plutôt encore flotter dans leurs désirs post-covidiens de dépenser sans compter.
Avec comme résultante un nombre croissant de ménages maintenant incapables de rembourser les dépenses de leurs cartes de crédit ou leurs prêts hypothécaires, et une augmentation astronomique de près de 25 % du nombre de faillites personnelles, un fardeau qui empoisonnera leur capacité financière pendant sept (7) longues années. Peut-être plus préoccupant encore est le fait qu’une proportion considérable de ces faillites touche en fait de jeunes adultes, à qui les parents ne semblent pas avoir appris les bienfaits d’une gestion économique disciplinée et saine.
Notons enfin que cette logique devrait également s’appliquer à nos élus, qui paraissent toujours être en difficulté avec leurs budgets, ce qui par contre ne semblent pas empêcher certains d’entre eux d’y aller de dépenses pharaoniques. Mais c’est vrai qu’après tout ils n’ont qu’à se servir dans les budgets publics et en augmentant les taxes, il est si facile de piocher sans vergogne dans les poches des contribuables.