Eliane Vételé, Le Lavalois, Sainte-Brigitte-de-Laval, décembre 2023
Comme dans nombre de déserts, l’atmosphère cristalline vous fait perdre toute notion des distances dans cette fragile transparence. Aucun repère, aucune échelle pour mesurer la distance qui nous sépare de la montagne la plus proche, de l’iceberg le plus gros.
Cette immensité étourdit, donne le vertige parfois mais l’immobilité et le silence qui s’en dégagent, apaisent l’âme tourmentée. Malgré l’absence totale de végétation, je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’une vie intense réside sous la glace, dans le Monde du silence. Invisible, je n’en perçois les sons qu’avec le sonar à notre disposition. Casque sur les oreilles, la complainte du phoque et du narval explose à mes oreilles. Ce chant me parvient comme une longue plainte. Un sanglot. Qui nous dira ce que ces accords signifient ?
Sur la banquise l’essentiel de la vie reprend ses droits. On est déconnecté de tout… oubliez Facebook, courriels, téléphone, tweet, douche et compagnie. Ici est l’authenticité de la vie, celle qui vibre en nous depuis la nuit des temps, celle qui a soif, qui a faim, qui rit, chante ou pleure devant tant de beauté. Celle qui a peur lorsque les éléments sont déchaînés.
La musicalité de l’Arctique est, et sera toujours, dans le regard de l’Inuit qui, tel un miroir, nous en renvoie les harmonies. Elle est dans sa démarche calme et franche en toutes circonstances, dans son sourire et dans son rire dont les éclats font vibrer l’air figé dans la froideur.
Depuis plus de mille ans, l’Inuit apprivoise l’Arctique. Il a conquis ce royaume pas à pas comme dans un film au ralenti, avec prudence, respect. Il sait qu’on ne lutte pas contre les éléments alors il compose avec eux. L’enseignement inuit a été des plus précieux à l’ère des grandes explorations. Il est malheureux que nous l’ayons compris si tardivement. Je pense aux navigateurs, explorateurs, prospecteurs des siècles et décennies passées, à leur méfiance face aux peuples autochtones. Qu’auraient-ils rapporté de leurs expéditions polaires sans l’Inuit ?
Un sentiment de culpabilité m’envahit alors que résonnent en moi les paroles d’Akinisi de Richard Desjardins : « … Je suis une légende et toi t’es une affaire, je te donne l’éternité et tu me donnes une bière… Dans la toundra, y’a des bons gars ! ».
Tant et aussi longtemps qu’il y aura des Inuits, qu’il y aura un Jack dans l’Arctique qui initie son neveu, nous pourrons continuer d’espérer pour l’avenir boréal qui semble précipité vers un incontournable abîme.
Quelques oies blanches passent au-dessus du cap Graham et nous rappellent que l’été approche. Tout va se diluer dans ce mois de juin estival et l’Océan envahira de nouveau pour quelques mois le détroit d’Eclipse forçant l’ours à regagner la terre ferme, le phoque la mer et les rochers. Les eiders et marmettes iront alors nicher dans les falaises de l’île Bylot. Le cycle de la vie se perpétue au fil des saisons.
Dans le souffle tiède de ce printemps septentrional, je surprends un murmure inuqtituq venu de loin, venu de la nuit des temps. Inuits et Arctique échangent leurs secrets. Ils parlent de silence, d’immensité, d’authenticité, d’humanité.
Ensemble, ils parlent d’ÉTERNITÉ.
Et n’oubliez pas : Un problème ?… mettez-ça dans votre sac de couchage !