Jean-Claude Vézina, Le Haut-Saint-François, Cookshire-Eaton
Pierre Hébert, c’était un bon employeur! Souffrez que je vous en parle en «je» puisque je connais mieux cette facette de sa personnalité.
J’y ai découvert un homme tout à fait spécial. Un patron dépareillé que bien des travailleuses et des travailleurs aimeraient avoir. Pas un patron comme dans le monologue d’Yvon Deschamps qui l’ayant invité à son chalet, lui soumet un carnet de charge long comme le bras qu’il récompense d’une bière chaude…
Il y a longtemps, Pierre m’a appelé. Réservé, il m’a questionné sur ce que je faisais, vérifiait comment j’allais, me racontant quelques traits portant sur la MRC du Haut-Saint-François. Il m’avait alors invité à travailler comme journaliste.
Nous nous connaissions de bien loin. J’avais déjà publié dans les pages de ce quinzomadaire, une chronique sur l’environnement. Ce que j’aime taquiner Pierre avec mes longs mots qui lui causent trop souvent de grands maux! Juste pour toi, je te traduis quinzomadaire par bimensuel. J’avais aussi siégé sur le C. A. du Journal comme élu, en un mot, Pierre savait que j’avais une certaine maîtrise du milieu.
Le Journal servait d’incubateur de talent pour les finissants en journalisme. La rotation du personnel devenait problématique puisqu’il fallait régulièrement en trouver de nouveaux. Un «vieux steady» ferait bien l’affaire pour le soulager de cette contrainte éreintante, pensait-il. Mais c’était sans connaître à fond ce candidat pas toujours facile à gérer.
J’ai découvert en Pierre, un homme d’équipe, ce qui m’a beaucoup surpris. Habitué à travailler avec un «boss» qui décide ou à mon compte, ce mode de fonctionnement m’a séduit. Les relations instaurées entre le secrétariat, le secteur des ventes de publicité, celui du montage des pages et le dernier, celui des journalistes coulaient de source. Jamais un mot plus haut que l’autre! Les tâches étaient clairement définies, ses bons mots étaient toujours là pour nous encourager ou nous féliciter.
Pierre avait les portes de tous les intervenants de la MRC grandes ouvertes. Les politiciens et tous les dirigeants d’organismes le recevaient avec plaisir. Ses comptes-rendus, même critiques quelques fois, étaient appréciés de tous. Il rencontrait aussi bien les citoyens en chicane pour une clôture mal installée que les candidats aux élections municipales, provinciales et fédérales. Ce n’était pas facile, mais il s’en tirait correctement.
Pierre avait certaines choses en sainte horreur : l’informatique, les lundis de la préparation du prochain journal, les textes trop longs et le vocabulaire trop recherché. Lorsque nous avons changé les ordinateurs sous Microsoft pour des Apple, ça a été toute une adaptation pour Pierre. Déjà, il considérait qu’une dactylo c’était compliqué à gérer… Au moindre pépin, on l’entendait crier de son bureau pour quérir de l’aide. «Où se trouve l’accent? Comment puis-je retrouver ce que je viens de perdre? Etc.» Au moins, il ne nous a jamais demandé comment l’ouvrir…
Les lundis de préparation du Journal devaient lui procurer des cauchemars. On choisissait les articles pour la prochaine édition. Pierre veillait comme une mère poule à ne jamais faire de déficit avec une parution. Ceux à publier devait être payé par la vente de publicité et les autres revenus. Dans les OBNL, et c’était notre cas, le problème était de taille.
Pierre devait s’asseoir avec son «placoteux» de gratte-papier qui lui apportait des sujets à la tonne. Beaucoup trop! Définir lesquels méritaient de paraître s’avérait un choix déchirant, mais on y arrivait sans œil au beurre noir.
Pauvre Pierre et son horreur des longs textes! Lui comptait l’espace à remplir, pas moi. Je lui en soumettais trop souvent de ces articles de plus de 500 mots. «Bin quoi ?», que je lui répliquais quand il me demandait de les raccourcir. «Il me semble que ce paragraphe-là est essentiel pour comprendre, et l’autre itou…». Et ainsi de suite. Une fois, j’ai laissé échapper un juron. Oups! La tête qu’il a faite! J’ai compris.
Puis son autre phobie, les mots longs ou savants. «Jean-Claude, tu n’écris pas une thèse, tu écris pour que tout le monde comprenne les nouvelles», qu’il me rappelait souvent. Le synonyme de bimensuel, «quinzomadaire» pour l’exemple, aurait été biffé sans état d’âme.
Sous sa gouverne, le Journal le Haut-Saint-François a reçu de nombreuses récompenses de la part de l’Association des médias écrits du Québec, entre autres. Pierre, tu as su encadrer ton personnel pour qu’il produise le meilleur tant en contenu qu’en esthétique. Qualité de la mise en page, pertinence et profondeur de la nouvelle et combien d’autres prix se sont ajoutés au fil des ans à la mosaïque des gratifications exposées sur les murs de notre local!
Pierre, l’heure de ta retraite a sonné. Tu l’as méritée au-delà du normal. Tu as su pendant 32 ans garder la population en contact avec le quotidien de notre merveilleuse MRC en publiant régulièrement le Journal. Ton apport est difficile à mesurer en termes pratiques. Sois certain que du point de vue effectif, tous ces articles ont fait croître notre région. J’en témoigne avec fierté.
Merci pour tout. Ta présence, ton accueil et tous ces moments que nous avons passés à nous côtoyer m’ont marqué bien au-delà des relations employeur/employé. Tu m’as fait grandir.
Bonne retraite!
Jean-Claude, ton compère et comparse