Avoir l’accordéon politique

Christine Amanda Bédard, Le Mouton noir, Rimouski, mai-juin 2023

Le 14 avril dernier se tenait aux Bains Publics à Rimouski une soirée musicale pour célébrer les six mois de la coop Raquette, une coopérative qui soutient les artistes indépendants. Deux groupes ont fait danser la foule : Banitsa, qui offre des rythmes originaux entre autres inspirés des Balkans, et Isabelle Charlot, avec son ensemble. Voici le portrait d’Isabelle Charlot, une artiste rimouskoise aux convictions fortes.

« Punk », c’est ainsi qu’Isabelle Charlot qualifie sa pratique artistique. Elle refuse de piétiner ses valeurs et d’aller vers la facilité pour faire avancer son projet musical. Se faire connaître prend donc plus de temps, mais le cercle de son public s’agrandit de façon organique. Isabelle Charlot se différencie des artistes qui enregistrent un disque et qui enchaînent avec une tournée, ce qui est la norme dans l’industrie. Elle opte plutôt pour un processus inverse : elle fait des tournées avec ses pièces, en profite pour les réécrire et ne les fige sur un album que lorsqu’elles ont atteint leur maturité, souvent plusieurs années plus tard. D’ailleurs, transposer sa musique sur un disque est un enjeu : Isabelle compose pour la scène et l’aspect théâtral de ses performances se convertit difficilement en fichier mp3.

Après avoir obtenu un baccalauréat en sciences politiques, Isabelle a réalisé que la musique donnait plus d’espace à la création que les organismes environnementaux, et plus de liberté au militantisme qu’un rapport à l’attention du gouvernement. Plutôt que d’écrire des chansons engagées, elle fait rêver à un monde meilleur grâce à ses morceaux intimes et grandioses pour inciter son auditoire à changer les choses et à oser. Son disque Exil est une ode au voyage, à la découverte. L’art décloisonne. L’art rassemble des gens de différents horizons. Ensemble, nous pouvons tout faire!

Performer dans des granges, chez des individus, dans des villages ruraux, Isabelle Charlot ne ferait que ça si c’était viable sur le plan financier. Bien qu’elle aime les grandes foules, la proximité avec le public lui plaît tout particulièrement. Elle ajoute : « Ce n’est pas parce que les gens n’ont pas de salle de spectacle qu’ils n’ont pas le droit d’avoir de l’art. » Elle cherche à démocratiser l’accès à la culture avec des concerts à petite échelle.

Prendre l’avion pour faire la plus grosse scène ou pour offrir seulement deux représentations, c’est « non » pour elle. Le capitalisme s’est incrusté dans le monde musical, une réalité que critique Isabelle. Elle a d’ailleurs développé un réseau québécois pour faire des tournées locales avec une empreinte carbone minimale. Les membres de son groupe nomment des responsables aux commissions, au paquetage, quand ils partent en tournée. Ils achètent des aliments en vrac et cuisinent où ils peuvent. « Pas beaucoup de bands traînent une épicerie complète dans leur van », dit-elle.

En parlant de tourner au pays, Isabelle Charlot remarque que l’industrie musicale oublie souvent les communautés francophones hors Québec. Les artistes québécois vont en France et dans d’autres pays de la francophonie. Isabelle, au contraire, souhaite offrir sa musique aux communautés acadiennes. Quelques représentations au Nouveau-Brunswick sont d’ailleurs à son agenda pour l’été.

Être une artiste indépendante, selon Isabelle, « c’est tout un chemin qu’il faut créer soi-même ». La coop Raquette soutient ces artistes courageux dans leur parcours. Elle offre des services essentiels qui les aident à créer leur propre chemin et à offrir de l’art hors-norme. Justement, Isabelle Charlot a probablement le seul band au Québec où on trouve à la fois un accordéon, un saxhorn et un violon octave. Pour continuer à profiter d’une musique libre et authentique, suivez les conseils d’Isabelle et parrainez un artiste indépendant!