Marc-Antoine Deroy, Graffici, Gaspésie, avril 2023
Notre civilisation québécoise semble être une des rares à accorder une place si modeste à la transmission du passé. La connaissance de l’histoire est pourtant un puissant moteur de dépassement personnel et collectif. Alexandre le Grand, sous l’influence d’Aristote, a créé un empire en se croyant le successeur du légendaire Achille de la Guerre de Troie. Il ne faut pas avoir peur de viser haut! La révolution scolaire qui survient avec la fin des années 1960 provoque une chute de l’apprentissage de l’histoire. Il suffit de discuter avec un octogénaire qui a fréquenté le collège classique pour comprendre la recette éprouvée que ces lieux d’enseignement avaient développée. L’objectif était d’assurer une relève composée de gens curieux et rigoureux. La culture générale, dont l’histoire est un des points cardinaux, est à la base du développement d’un territoire. La connaissance de l’histoire régionale peut donc favoriser l’enracinement et, par extension, le développement régional ainsi que la préservation et la mise en valeur du patrimoine.
L’utilité d’enseigner l’histoire de la Gaspésie
Nous sommes arrivés à une époque où les événements et les personnages de notre histoire régionale sombrent dans l’oubli. Dès lors, faut-il craindre pour nos particularités? Certes nous constatons un dynamisme, un renouveau qui nous remplit d’espérance, mais qu’en est-il de la solidité de ces nouvelles fondations? Voici une question sur laquelle méditer.
L’amitié et la collaboration avec les Premiers Peuples est une raison prépondérante pour connaître le passé de notre péninsule. « Vérité et réconciliation ». Ce déracinement culturel doit être connu et étudié avec compassion. Il importe de trouver avec les Autochtones des pistes de développement commun, dégagées de toute approche colonisatrice, pour construire une Gaspésie moderne possédant des bases solides.
Les faits historiques régionaux nous permettent aussi de mettre en perspective l’histoire nationale. Un exemple. Il semble hasardeux d’employer l’expression « Grande noirceur » dans les cours d’histoire du Québec dans une école secondaire gaspésienne. Bien sûr, il y a également ici à cette époque le carcan d’une société rigide avec ses codes souvent dictés par une morale stricte dans laquelle les minorités pouvaient difficilement s’épanouir. Mais au même moment, le gouvernement de Maurice Duplessis assurait le progrès des régions, notamment par le développement de l’agriculture et de la foresterie tout en mettant ses énergies à électrifier les campagnes pour le confort des foyers et le développement d’industries. L’instruction publique était au demeurant une priorité. Les résultats étaient tangibles.
Les moyens d’enseigner l’histoire de la Gaspésie
La Gaspésie jouit d’un fort sentiment d’appartenance. Pourtant, celui-ci pourrait s’accroître un peu plus si notre jeunesse était suffisamment mise au contact de son passé. La solution est simple : les écoles doivent conclure des ententes avec les institutions du milieu dont la mission est l’histoire et le patrimoine. Un savoir est détenu par des professionnels et des bénévoles passionnés qui pourraient davantage enrichir notre collectivité.
Le programme « La culture à l’école » est un outil du ministère de la Culture et des Communications qui permet de belles initiatives. Toutefois, vu d’un oeil extérieur, ce programme semble trop peu utilisé. Il permet pourtant aux partenaires de l’école primaire et secondaire de tarifer leurs services. Il facilite ainsi les partenariats avec les institutions muséales du territoire. Pourquoi ne pas réfléchir à des façons de déléguer des cours d’histoire locale par ceux qui en ont fait leur champ d’intérêt?
Le réseau des organismes communautaires autonomes en santé et services sociaux est une source d’inspiration et un modèle efficace pour le monde culturel. En effet, ceux-ci agissent, entre autres, en appui au CISSS (Centre intégré de santé et de services sociaux) en étant fournisseurs de services, lesquels sont dispensés par des professionnels et des bénévoles dévoués. Ils ajoutent un côté humain nécessaire à un univers parfois complexe. Cela semble cadrer avec la récente déclaration du premier ministre François Legault en lien avec sa volonté de rendre plus souple et plus efficace les ministères de la Santé et de l’Éducation.
Cela dit, il existe un autre moyen, celui-ci moins formel : les activités intergénérationnelles. D’ailleurs, à la fin mai, c’est la semaine québécoise dédiée à ce rapprochement entre les générations. Transmises par l’école et d’autres institutions, ces apprentissages de l’histoire locale peuvent servir de déclencheurs : les enfants peuvent par la suite partager ce savoir avec les générations qui les précèdent, permettant alors des discussions et des activés qui favoriseront la fierté d’habiter un territoire donné. Autrefois, il s’agissait d’un des rôles attribués aux grands-parents : ceux-ci transmettaient les histoires de famille, les contes, les faits marquants du village dans lequel on habitait. Le travail à réaliser est tellement simple, car il est profondément humain.