Le Troglodyte de Caroline

Le Troglodyte de Caroline

Jean-Pierre Fabien, Le Sentier, Saint-Hippolyte, mars 2023

Pendant plusieurs années, j’étais le seul enseignant d’écologie de mon école secondaire. Je me faisais souvent questionner par mes collègues sur les espèces d’oiseaux qu’ils avaient pu apercevoir près de la maison. Ils prenaient soin de me décrire ce qu’ils avaient vu.

Généralement, je n’avais pas de difficulté à leur fournir la réponse à leur interrogation. Aujourd’hui, bien que retraité, je reçois encore des appels ou des courriels concernant une espèce que mes amis ou lecteurs n’ont pu identifier.

Visiteur inusité

Récemment, une amie vivant à Waterloo, en Estrie, m’a fait parvenir par courriel trois photos d’un oiseau se tenant au pied de sa mangeoire. Au premier coup d’œil, j’ai su que ce n’était pas une espèce commune. Voici ce que mon amie m’a écrit : « Quand cet oiseau vient à la mangeoire, je peux l’observer pendant 10 à 15 minutes. Il prend son temps et ne cueille pas une graine à la fois pour mieux repartir comme le font les mésanges. Il se mêle avec les chardonnerets et on dirait qu’il se protège par temps froid en se plaçant dans les trous de nos pas creusés dans la neige. Il mange souvent les miettes tombées de notre mangeoire à suif. Il se perche également sur le cylindre rempli de graines de tournesol. Il aime se placer dans un de nos cèdres. Il en profite pour s’arrêter tout en observant si le secteur est hors de danger. »

Un nicheur rare au Québec

Grâce aux photographies jointes au message, j’ai reconnu l’oiseau observé à Waterloo : un Troglodyte de Caroline. On le trouve surtout dans l’est des États-Unis. Il mesure 14 cm. Son dos est roux et il est ponctué de petites taches blanches sur les ailes. Le ventre est orangé. On le reconnaît grâce à son sourcil blanc bien apparent. Son bec est légèrement incurvé. Les deux sexes possèdent le même plumage. Selon les données recueillies dans le Deuxième Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, le Troglodyte de Caroline commence à nicher dans l’extrême sud de la province. Entre la période de 2010 à 2014, on a recensé tout près de 10 nidifications confirmées de cet oiseau. En l’espace de 30 ans (entre 1984 et 2014), l’oiseau a été observé de plus en plus régulièrement au pays.

Présence expliquée par les changements climatiques

Le Troglodyte de Caroline ne tolère pas les températures glaciales en hiver. Or, comme la température moyenne du mois de janvier a augmenté de deux degrés Celsius entre 1984 et 2014, notre troglodyte peut donc tenter de s’établir ici toute l’année. Cette moyenne est évaluée à -12,3 °C en janvier alors qu’elle était enregistrée à -14,2 °C entre 1984 et 1989 2 et il y a fort à parier que cette hausse de température continue sa progression dans un avenir rapproché.

Un oiseau de la strate arbustive

Le Troglodyte de Caroline est un oiseau qui préfère se tenir dans la strate arbustive, à la lisière des forêts de feuillus, en bordure des cours d’eau ou dans les parcs urbains. Le nid est construit à trois mètres de hauteur. Il peut être installé sur une souche, dans un arbre creux ou bien il peut opter pour un nichoir construit spécifiquement pour lui. La femelle couve seule les œufs, au nombre de quatre à six, pendant 12 à 14 jours. Par contre, les deux sexes s’occuperont d’élever les jeunes. Ces derniers quitteront le nid familial à l’âge de 12 à 14 jours. Ce qui est intéressant au sujet du Troglodyte de Caroline, c’est qu’il chante toute l’année, et ce, même en hiver. Son chant répété plusieurs fois pourrait se traduire par : pidaro, pidaro, pidaro…

Incroyable remontée…

Au fil des années, nous avons pu observer autour des mangeoires des oiseaux qui ont étendu leur aire de répartition pour venir vivre au Québec. Le Cardinal rouge, la Tourterelle triste et dernièrement la Mésange bicolore en sont de bons exemples. Il serait tout de même étonnant que le Troglodyte de Caroline devienne un oiseau aussi abondant au Québec que le cardinal à la suite de sa remontée vers le nord. Il faut donc saluer sa résilience et se considérer chanceux de l’observer lorsqu’il passe l’automne et l’hiver aux mangeoires bien garnies de suif et de graines…