Stéphanie Dufresne, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, Octobre 2022
Mettre nos restants de table dans le bac brun n’annule pas les impacts environnementaux causés par la production et le transport des aliments. La croyance populaire qui veut qu’un aliment composté n’est pas gaspillé puisqu’il se décompose et « retourne à la nature » pourrait nuire aux efforts de réduction à la source du gaspillage alimentaire et des gaz à effet de serre, selon certains experts.
Le bac brun arrive en Mauricie
Énercycle a lancé une vaste campagne d’information pour encourager les citoyennes et citoyens de la Mauricie à utiliser leur nouveau bac brun, qui sera distribué d’ici juin 2023 dans 37 municipalités de la région. Sa mise en place découle d’une obligation légale du gouvernement provincial.
L’objectif est de réduire l’enfouissement des résidus alimentaires et de jardin ainsi que les papiers et cartons souillés, qui produisent, lorsqu’ils sont enfouis, des biogaz et du lixiviat (un genre de jus de déchets) qui polluent l’air et l’eau. Énercycle estime que le bac brun détournera annuellement 45 000 tonnes de matière de l’enfouissement.
Gaspillage alimentaire, fléau climatique
Cette nouvelle collecte est perçue comme une bonne nouvelle et était attendue par les citoyennes et citoyens qui se soucient de la protection de l’environnement, d’autant plus qu’elle arrive tardivement en Mauricie par rapport à d’autres régions. Un regroupement citoyen avait d’ailleurs manifesté son impatience devant les bureaux d’Énercycle en 2021.
Or, si le bac brun permet de réduire les émissions de méthane de l’enfouissement, il ne faut pas penser que le retrait des matières organiques règlera tous les problèmes écologiques liés aux résidus alimentaires, explique Éric Ménard, expert en lutte contre le gaspillage alimentaire. « Pendant longtemps, on avait l’impression que le problème environnemental était l’enfouissement, dit-il. Mais on se rend compte avec les analyses de cycle de vie que ce n’est pas le déchet qui a le plus gros impact environnemental, mais plutôt la production de l’aliment. »
En effet, bien avant de se retrouver dans un bac sur le bord du chemin, la culture ou l’élevage des aliments, leur transformation et leur transport exercent une pression sur les ressources naturelles et les écosystèmes et produisent des gaz à effet de serre (GES).
Recyc-Québec évalue à 87 %, la part des émissions de GES qui est associée à la production et à la transformation des aliments. Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième plus gros émetteur de GES après la Chine et les États-Unis, peut-on lire sur leur site web. Au Québec, 1,2 million de tonnes de résidus alimentaires par année sont des aliments qui auraient dû être mangés ou donnés plutôt que jetés. Cela représente 4 % des émissions totales de GES de la province.
Éviter le gaspillage de nourriture aurait donc un potentiel beaucoup plus grand pour réduire les impacts environnementaux que les méthodes de récupération comme le compostage ou la biométhanisation.
Déculpabilisation
Le tri sélectif des matières organiques ne nous dispense donc pas des efforts de réduction à la source. Il pourrait même nuire, souligne le Collectif pour enrayer le gaspillage alimentaire, dans un mémoire déposé au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) l’année dernière. « Beaucoup considèrent qu’un aliment composté n’est pas gaspillé, écrit-il, l’idée qu’il soit recyclé atténue la culpabilité relative au gaspillage. »
« Certaines personnes font attention à ne pas gaspiller quand ça s’en va à la poubelle, mais elles font moins attention quand ça va au compost, en se disant que ce n’est pas grave », précise Éric Ménard.
Tout comme pour les autres matières résiduelles, le respect de la hiérarchie des « 3RV » (réduction à la source, réemploi, recyclage et valorisation) devrait être prépondérant dans la gestion des matières organiques. « Le meilleur déchet c’est celui qui n’est pas généré », dit-il.
Passer le bon message
La campagne de communication d’Énercycle porte sur l’utilisation adéquate du bac brun : matières acceptées, conseils d’utilisation et d’entretien du bac et fréquence de collecte. Elle n’aborde cependant pas la réduction à la source du gaspillage alimentaire.
Plusieurs régions ont fait la même erreur lors de l’implantation du bac brun, estime Éric Ménard. « En mettant l’accent sur le compostage, la biométhanisation ou le recyclage, ça nous évite d’avoir à changer nos habitudes et nous permet de continuer à surconsommer, à surproduire, et à surgaspiller. Le message c’est “continue de consommer autant, mais ton résidu, ne le met pas dans le même bac.” »
« Par ailleurs, si on travaille sur la réduction à la source après le déploiement des infrastructures de compostage ou de biométhanisation, elles risquent d’être surdimensionnées, » dit-il.
Les modèles qui n’appliquent pas la hiérarchie des « 3RV » viennent seulement « mettre un pansement sur les défaillances d’un système basé sur la surproduction », écrit le Collectif dans son mémoire. « Cette approche du statu quo, dit Éric Ménard, ne suffira pas à régler les problèmes environnementaux auxquels on fait face. »