QU’ADVIENDRA-T-IL DE NOS PATINOIRES EXTÉRIEURES?

Alain Boudreau, Graffici, Gaspésie, Noël 2022

 

Monsieur Ti-Jean faisait tout, ou presque, souvent seul. Du moment qu’il y avait assez de neige sur la patinoire, je le voyais par la fenêtre de notre classe; il l’écrasait avec ses raquettes pendant de longues heures. Une fois la neige durcie, Monsieur Ti-Jean bravait le froid pour l’arroser. Les lumières allumées le soir étaient le signe que notre saison de glace approchait. Enfin, Monsieur Ti-Jean peinturait sur la glace des lignes et des points, bleus et rouges; c’était pour moi comme quelque chose d’artistique!

Nous passions tout notre temps à la patinoire, du matin jusqu’au soir, de l’ouverture à la fermeture de la saison. Toutes nos journées de congés y passaient, surtout le temps des Fêtes, jusqu’à se faire de la « corne » sur les doigts à force d’attacher nos patins! Certains jours, nous étions des dizaines en même temps à patiner et jouer au hockey. Souvent, les gars taquinaient les filles, les filles dénonçaient les gars; Monsieur Ti-Jean n’avait qu’à sortir la tête par la porte et puis, d’un coup de sifflet, tout rentrait dans l’ordre! Jamais nous n’aurions pris le risque d’être bannis de la patinoire.

Nous ne connaissions rien à la musique classique mais nous aimions tellement patiner sur Le Beau Danube bleu de Strauss! Je me souviens d’un couple qui patinait sur cette valse, les bras entrelacés; on aurait dit qu’il dansait!

Les jeunes et les parents ne se faisaient pas prier pour aider Monsieur Ti-Jean dans ses tâches; plus nous étions pour déneiger, plus vite nous sautions sur la glace.

À l’occasion, la conjointe de Monsieur Ti-Jean venait lui prêter main-forte. Pendant qu’elle tenait la cantine, Monsieur Ti-Jean exécutait des petits travaux à l’extérieur et veillait à ce que tout se passe bien. Quand j’y pense, je me dis que Monsieur Ti-Jean était quelqu’un d’important pour moi, une personne que je respectais. Il mettait tellement de coeur à bien faire son travail, un travail qui me permettait de faire ce que j’aimais le plus l’hiver, aller à la patinoire!

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Sans tomber dans la nostalgie, il est clair que les patinoires extérieures ne sont plus ce qu’elles étaient. De plus, si on se fie aux projections entourant les changements climatiques, force est d’admettre que leur existence même est compromise dans l’avenir. En effet, tous l’ont remarqué, la durée des saisons de glace extérieure a diminué au fil des décennies. Les plus vieux se rappellent qu’autrefois les patinoires extérieures pouvaient être utilisables de la fin de novembre jusqu’à la mi-mars, parfois plus. Ce n’est plus le cas aujourd’hui alors qu’en moyenne, elles sont accessibles de la fin de décembre à la fin de février, sauf exception. Les saisons sont de plus en plus courtes, les patinoires sont soumises à de plus en plus de périodes de redoux et à des averses de pluie. Cela donne du fil à retordre aux préposés à l’entretien et entraîne des fermetures occasionnelles durant la saison.


Autrefois, les patinoires extérieures pouvaient être utilisables de la fin de novembre jusqu’à la mi-mars, parfois plus. Ce n’est plus le cas aujourd’hui alors qu’en moyenne, elles sont accessibles de la fin de décembre à la fin de février, sauf exception. Photo : Musée de la Gaspésie. Fonds J. Napoléon Gérard junior.

Les impacts des changements climatiques sur les patinoires extérieures, c’est tout de même du sérieux! Depuis 2013, l’Université Wilfrid-Laurier à Waterloo (Ontario), collecte des données sur ces impacts auprès de 1400 patinoires extérieures en Amérique du Nord. C’est le projet Rinkwatch que l’on peut consulter à l’adresse rinkwatch.org. Les férus de glaces extérieures sont invités à jeter un coup d’oeil sur ce site.

Comme solutions, plusieurs villes et municipalités québécoises se tournent vers les systèmes de réfrigération (portatifs ou fixes) de la glace ou l’ajout d’un toit, ou parfois les deux. En parcourant le Web, on peut visualiser plusieurs projets de ce genre un peu partout dans la province. À titre d’exemple, la Ville de McMasterville dans la région de la Montérégie, offre une surface glacée réfrigérée recouverte d’un toit, qui permet la pratique des activités de glace dès la mi-automne et ce, jusqu’à la fin de mars(1). Plus près de nous, la Municipalité d’Eel River Dundee (Nouveau-Brunswick) possède un toit sur sa patinoire extérieure. À ma connaissance, il n’y a pas encore de patinoire extérieure en Gaspésie dotée d’un système de réfrigération ou d’un toit.

Mais ces solutions ont un coût ; dans certains cas, on parle de plusieurs millions de dollars. Et c’est sans compter les frais d’opération de ces systèmes de réfrigération ainsi que les enjeux environnementaux puisque ce sont des équipements énergivores. Ce sont des solutions qui pourraient aussi affecter l’accessibilité aux personnes moins bien nanties si toutefois des frais d’admission accompagnaient ces nouvelles infrastructures.

On s’éloigne d’une patinoire extérieure classique et on se rapproche de plus en plus d’un aréna! L’usager gagne en fiabilité pour la qualité et la durée de la glace mais perd pour ce qui est de l’expérience du patinage et du hockey en plein air par une belle journée d’hiver!

Les patinoires extérieures ne disparaîtront pas demain mais la tendance est bien réelle et fort probablement irréversible. Les villes et municipalités devront, comme pour le reste, s’adapter aux changements climatiques et les patinoires extérieures ne feront pas exception. Je peux comprendre que, pour les élus, la disparition des patinoires n’est pas en tête de liste des problématiques liées au réchauffement du climat mais tout de même, c’est là une des conséquences qui affectera le domaine du loisir et ce ne sera pas la seule…

D’ici là, vous pourriez, alors qu’il est encore temps, allez faire un tour à la patinoire l’hiver prochain. Et, pourquoi pas, vous laissez filer sur la glace tout en écoutant une valse de Strauss! Bonne saison hivernale!

(1) Source : Recensement 2017 du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.