John Mackley (traduit par Rachelle Fecteau), L’Image de Bury, Bury, Octobre 2022
Pendant des millénaires, les Cantons de l’Est ont été un territoire autochtone Abénaki utilisé pour la chasse et la cueillette saisonnières. Au début de la colonisation européenne, les nouveaux immigrants voyaient la région comme un lieu « sauvage et indompté » qu’il fallait coloniser et domestiquer. À l’exception des cours d’eau qui étaient les principaux moyens de transport, tout le territoire, depuis le Saint-Laurent jusqu’à la Nouvelle-Angleterre, était à l’époque une vaste forêt ancienne presque ininterrompue. Des peuplements de toutes variétés d’arbres se profilaient jusqu’à l’horizon et plus loin encore, à condition de trouver un point d’observation pour voir au loin.
Face à un climat rude et à d’impitoyables forêts sombres, peuplées de redoutables prédateurs, les premiers colons pensaient avant tout à assurer leur subsistance. Même pour ceux qui étaient parrainés et approvisionnés par des institutions comme la British American Land Company, le défrichage pour créer champs et pâturages et la construction de maisons, de granges et de clôtures représentaient une tâche colossale.
Bien souvent, cette corvée devait toutefois être mise de côté pour concentrer toutes les énergies sur la tâche grandiose qu’est l’ouverture de chemins à travers les bois et la création de routes carrossables, qui permettraient le passage de vivres supplémentaires et de membres de la famille ainsi que l’arrivée de nouveaux colons et le mouvement de marchandises vers les marchés des grands centres. La construction et l’entretien des routes étaient essentiels et préalables à toute occupation du territoire ou à l’établissement d’une colonie de façon durable.
Le 15 mars 1803, le Canton de Bury est créé, mais les conditions de vie en milieu sauvage et l’absence totale de routes praticables ou même de sentiers fiables découragent les colons potentiels de s’y installer. Les premières tentatives ont échoué.
L.S. Channell, dans l’ouvrage History of Compton County (1869), écrit : « [Un homme du nom de] Bouchette, écrivant en 1815, dit que seulement un quart du canton a été arpenté… Une route a été marquée, balisée, et des bornes routières ont été installées, pour une route allant du chemin Kemp, dans le canton d’Irlande, jusqu’au Vermont, en passant par Newport. » De toute évidence, cette route n’a jamais été achevée ni l’arpentage utilisé, commente Channell.
Il continue : « En 1835-1836, la première tentative de colonisation a lieu. À cette époque, une route fût construite jusqu’au village de Robinson à partir de la ferme Taylor, à environ deux milles et demi à l’est de Cookshire, et une autre jusqu’à Victoria. »
À moins qu’une route ne soit nommée en l’honneur d’un dignitaire politique ou de ses constructeurs, il était de coutume, à travers les siècles et dans le monde entier, de donner à une route le nom d’une des villes ou d’un des villages qu’elle servait à relier. L’ancien village de Victoria a été fondé en 1836 sur les rives de la rivière au Saumon, à environ deux kilomètres à l’ouest de l’actuelle Scotstown. Une importante route a donc été construite et entretenue entre Robinson/Bury et Victoria. Tout porte à croire que cette route a toujours été appelée chemin Victoria depuis les 186 dernières années.
Le chemin Victoria a été officiellement reconnu par la Commission de toponymie du gouvernement du Québec le 1er janvier 1980 et est toujours répertorié comme tel sur le site Web du gouvernement. Les panneaux de signalisation à toutes les intersections dans les cantons de Bury, de Lingwick et de Hampden le nomment simplement « Victoria ». Pourtant, Postes Canada a informé les personnes qui vivent aujourd’hui sur cette route que leur adresse de livraison ne sera plus reconnue sous la désignation « chemin Victoria » et qu’elles ne devront plus utiliser cette appellation pour leur correspondance. À la place, Postes Canada demande aux résidents de changer leurs coordonnées pour « route 214 ».
Le magazine Townships Sun a décerné la Lune des Cantons de ce mois-ci à Postes Canada : pourquoi leur appellation aurait-elle la priorité sur les noms locaux et provinciaux d’une route?
Le nom « chemin Victoria » est d’une grande importance historique qui ne devrait pas disparaître de la mémoire collective ou être éclipsé par un simple numéro bureaucratique!