Sans être toujours évidente, la valeur de l'anecdote racontée peut se révéler précieuse.

Le devoir de mémoire

Dominic Charrette, L’annonceur, p.6, Pierreville, Septembre 2022

 

Depuis le printemps dernier, un travail de collecte d’informations à teneur historique est en cours à Saint-François-du-Lac. Il est réalisé afin de préparer les célébrations du 350e anniversaire de la localité qui se tiendront en 2023. Une bonne documentation et beaucoup de ressources archivistiques existent déjà pour assurer de solides fondations à ce travail. Mais faire de l’histoire n’est pas simplement se référer aux livres et aux documents déjà publiés, ces fameuses sources dans lesquelles nous puisons nos renseignements. Pour creuser davantage, il faut mobiliser d’autres sources d’informations, trouver le moyen adéquat pour les faire parler et apprécier la valeur des renseignements qui peuvent s’y trouver.

C’est lorsque l’on s’intéresse à l’information provenant des souvenirs vécus par les individus que l’histoire peut se corser. Subjectif, intangible, trop injustement étiqueté comme anecdotique, le souvenir a pourtant toute son importance et sa valeur. Il fait partie d’une catégorie plus vaste d’information historique se rattachant au « patrimoine immatériel. »

C’est à cette catégorie d’information que nous sommes exposés quand nous écoutons parler les résidents de longue date. La technique de collecte de données tirée d’un témoignage fait boule de neige : c’est en écoutant le témoignage d’une personne que nous notons d’autres noms d’individus à qui nous devons aussi parler parce qu’ils en connaissent plus encore sur un événement précédemment évoqué. L’enquête à mener prend de l’ampleur.

Sans être toujours évidente, la valeur de l’anecdote racontée peut se révéler précieuse. C’est à partir des parcelles d’informations soutirées d’une anecdote que le travail historique se poursuit : il faut être capable de rattacher ces parcelles à un réseau plus vaste et complexe d’informations qui, telle une toile d’araignée s’étirant dans plusieurs directions, finit par créer un portrait d’ensemble, une trame historique, un récit.

Subjectif est ce contenu immatériel car, s’il n’y a pas de fausses histoires, on aura bien compris qu’il existe parmi celles et ceux qui racontent ce qu’il est convenu d’appeler des « forceurs de vérité. » L’expression vient justement d’un témoignage recueilli voilà quelques semaines.

L’exemple suivant est évocateur : un résident de longue date nous a dit que l’ancienne voie ferrée (dont le tracé aligné sur les vieilles piles dans la rivière se voit encore) avait, à environ un kilomètre de la rivière, un embranchement formant un « Y » et se poursuivait en ligne droite jusqu’à un endroit plus ou moins incertain, près de l’actuelle route 143. Dans sa jeunesse, il y a déterré des clous de traverses. Encore de nos jours, une visite sur le terrain dans le boisé nous permet d’observer le tracé de cette ancienne voie. Encore faut-il être fin observateur pour le voir…

Le Centre d’Archives Régionales Séminaires de Nicolet possède une photographie aérienne de Saint-François-du-Lac prise durant les années 1940. Sur ce document, exactement à l’endroit mentionné, on voit un tracé rectiligne qui passe à travers le bois et se termine dans les champs, près de la route 143. Ainsi, l’information historique est validée par une photographie d’époque et des observations sur le terrain. Ce détail aurait passé sous silence si cette anecdote ne nous avait pas été contée. Mais que retrouvait-on au bout de cette voie ferrée? À ce jour, nos sources d’information ne sont pas concluantes; l’enquête doit se poursuivre.

Quoi qu’il en soit, c’est devant pareille source que le devoir de mémoire doit aussi se faire. À la base, le but de la commémoration est de mettre les mémoires en commun. « Ça me revient, les souvenirs remontent en surface… » nous a-t-on confié cet été, durant les semaines de récolte. Récolte qui, par ailleurs, s’est révélée à la fois abondante et incomplète. Qui d’autre possèdent de précieuses informations qui passeront sous silence si nous ne réussissons pas à les écouter? Il faut être honnête : trop peu a été recueilli en une saison pour nous permettre de prétendre avoir fait le tour de tout ce qui s’est passé.

Néanmoins, un processus d’enregistrement des témoignages aux fins de conservation a débuté. C’est un travail de longue haleine qui peut aisément s’étirer au-delà de l’année 2023 mais qui mérite d’être poursuivi. À ce sujet, dans le sillage des travaux effectués cet été par le comité, peut-être qu’une relève est en train de se préparer; il y a de quoi espérer.

Mais le temps joue contre nous. Si l’on nous dit d’aller parler avec telle ou telle personne, trop souvent on nous précise de faire vite; que le temps qu’il reste pour le faire est compté… Et parfois, malheureusement, il est déjà trop tard. Tous les membres du comité organisateur du 350e anniversaire souhaitent remercier celles et ceux qui ont partagé leurs souvenirs jusqu’à présent. Si vous désirez collaborer à ce moment-ci de l’année, il est encore possible de le faire. Contactez Josée Bussière, conseillère en Développement des communautés, au 450 568-2124.

Ne sous-estimons pas la valeur d’un souvenir. Le temps faisant son implacable œuvre, le contenu du patrimoine immatériel disparaît irrémédiablement à mesure qu’une génération nous quitte. Sachons faire une place à ces bribes de mémoire dans la commémoration que la municipalité de Saint-François-du-Lac fera en 2023 car, au fond, si les artefacts et les bâtiments peuvent survivre à la mort, ils demeurent tous vulnérables au fléau que représente l’oubli.

P.S. L’auteur remercie le Centre d’Archives Régionales Séminaire de Nicolet ainsi que tous les gens qui lui ont raconté de précieuses histoires.