La littérature comme outil de lutte

Laura Lafrance, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, Mai 2022

 

Bien que les livres mettant en scène des personnages issus de la communauté LGBTQ+ soient plus rares que ceux présentant des personnages hétéronormatifs, les dernières années auraient permis à de nouveaux talents de faire ressortir ces voix trop souvent oubliées. Samuel Champagne, auteur jeunesse et docteur en littérature, et Élise Rivard, écrivaine de la Mauricie, en font partie.

Dans Québequeer : le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises, ouvrage de recherche publié à l’Université de Montréal, des chercheurs et des chercheuses se penchent sur la question du queer dans la littérature québécoise. « Lorsque les personnes queer ouvrent leurs blessures et nous les montrent, en font récit, ce n’est pas pour faire spectacle […] Il s’agit plutôt de révéler la violence du monde et, par là, de s’émanciper de l’imaginaire hétéropatriarcal qui nous imprègne toustes. »

Transformer le paradigme littéraire

Ayant effectué ses études doctorales à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ayant publié plus d’une dizaine de romans pour les adolescents et adolescentes aux Éditions de Mortagne, Samuel Champagne a produit les premiers romans de fiction destinés à la jeunesse qui portent sur la transidentité. Lui-même transgenre et homosexuel, il écrit pour les plus jeunes d’abord parce que ceux-ci et celles-ci sont en mesure de comprendre ces sujets dits matures et ensuite parce qu’il y avait un manque criant de livres sur ces enjeux. « J’ai l’impression que la littérature ne leur fait pas confiance pour avoir la capacité de comprendre, d’avoir de l’empathie pour les choses qui sont un peu plus dures », dit-il.

Pour lui, il était nécessaire de donner de l’espace à des personnages qui vivaient des réalités un peu différentes de celles présentées à la télévision ou dans la plupart des romans pour jeunes. « Je n’avais pas imaginé à quel point les récits pouvaient avoir un gros rayonnement autour du lecteur. Je n’avais pas réalisé à quel point ça pouvait avoir un impact sur [l’entourage]. » Il avoue avoir reçu plusieurs témoignages de lecteurs et de lectrices qui lui ont confié que ses romans, particulièrement ceux portant sur la transidentité, leur avaient sauvé la vie puisqu’ils et elles ne pensaient pas qu’il était possible de transitionner et de mener une vie positive. L’auteur avance que l’expérience de lecture, étant « un endroit sécuritaire », est une façon idéale pour les adolescents et adolescentes de découvrir les possibilités qui s’offrent à eux et à elles sans avoir à craindre diverses représailles.

Défaire les préjugés, un mot à la fois

Élise Rivard, originaire de Trois-Rivières, a publié en 2018 son premier roman jeunesse, intitulé L’arrivée inopinée de la patate poilue. Depuis maintenant plusieurs mois, elle travaille sur un roman pour les adolescents et adolescentes qui traite de l’asexualité, soit l’une des identités cachées derrière le « + » de l’acronyme LGBTQ+. L’écrivaine explique qu’elle ne trouvait pas de livres qui portait sur cette orientation sexuelle peu discutée, qui inclut tous les individus qui ne ressentent pas de désir sexuel. « Ce qui ressortait beaucoup, dans mes discussions avec les jeunes, c’est l’absence de modèles auxquels ils pouvaient s’identifier », raconte la Trifluvienne. En effet, afin de brosser un portrait juste et réaliste de la situation, Élise Rivard a eu plusieurs rencontres avec une sexologue ainsi qu’avec le groupe LGBT du Cégep de Trois-Rivières, où elle a pu s’entretenir du sujet avec quelques étudiants et étudiantes qui se reconnaissaient dans le spectre de l’asexualité.

« On me disait beaucoup : « on se sent invisible » », précise-t-elle. « Ce n’est pas parce que tu es plus minoritaire dans ton orientation sexuelle que tu n’as pas le droit d’exister, d’avoir un nom, d’être vu, d’avoir une place. » Avec son roman, Élise Rivard désire mettre de l’avant des personnages qui ont des vies épanouies et qui montrent bien qu’il n’y a pas qu’une seule façon de vivre l’asexualité.