Chasser les phoques du Saint-Laurent : activité contestable ou durable

Lyne Morissette,  Mouton Noir, Rimouski, Janvier 2022

Les phoques font régulièrement la manchette, que ce soit parce qu’on en retrouve échoués sur nos rivages, qu’on les accuse de manger toute la morue, ou encore pour leur désormais célèbre chasse! Cette activité typique de l’Est du pays a de tout temps fait parler, depuis les années Brigitte Bardot jusqu’à aujourd’hui, alors que des cours se donnent sur la façon de chasser le phoque. Comme ce dossier soulève toujours beaucoup de questions, voici un bref portrait de la situation.

EN DANGER, LES PHOQUES?

Il existe quatre principales espèces de phoques dans le golfe (les phoques gris, communs, à capuchon et du Groenland). Le phoque du Groenland est l’espèce la plus abondante, en plus d’être celle qui représente la majeure partie de la chasse commerciale au Canada, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. Avec une population estimée à 7,4 millions d’individus au Canada atlantique, le phoque du Groenland est une espèce considérée comme abondante dans nos eaux. Le phoque gris de son côté vit aussi une croissance de population, surtout dans le golfe : ils étaient 5 000 dans les années 60, et sont maintenant plus de 44 000 dans le golfe, pour environ 500 000 dans tout l’Est canadien. Quant aux phoques à capuchon, on en compte environ 600 000 dans le nord-ouest de l’Atlantique, mais les relevés datent de 2006 (il faut savoir que lorsque la population n’est pas en danger, les décomptes sont moins fréquents). En fait, la chasse ne met aucune de ces populations en danger.

On a souvent tendance à penser qu’avec autant de phoques, les pêcheries peuvent être menacées (comme pour la morue de l’Atlantique, par exemple). Pour bien analyser la situation, il faut comprendre ce que mangent les phoques. La quantité de morue dans l’alimentation des phoques varie en fonction du lieu, des saisons, de l’âge, du sexe et des individus. Pour les gros phoques – comme les phoques gris – on peut dire qu’un adulte peut manger jusqu’à deux tonnes de proies par année, et que la morue peut représenter jusqu’à 50 % de son régime alimentaire. Les phoques du Groenland quant à eux sont plus petits et se nourrissent surtout de crevettes, de crustacés et d’une variété de poissons comme le sébaste, le capelan, le hareng, le flétan et les plus petites morues.

MORUE EN DÉCLIN

Les phoques sont-ils responsables du déclin des stocks de morue dans le golfe? La prédation exercée par le phoque du Groenland n’a pas causé le déclin des stocks dans les années 90; ce déclin nous est dû, par surpêche. Par contre, la prédation par les phoques représente maintenant un facteur envisageable dans le non-rétablissement de cette population. De plus, la surpêche et les activités humaines ont créé le scénario parfait pour que les phoques prolifèrent : absence (ou presque) de chasse et moins de compétiteurs (parce que les morues adultes étaient des compétitrices des phoques pour les mêmes proies). Et comme les phoques sont des généralistes, ils peuvent facilement manger d’autres proies si la morue ne se trouve plus dans leur garde-manger. En somme, avec un stock de morue très bas et une abondance de phoques, la capture des morues par les phoques représente maintenant un pourcentage important de leur mortalité. Cela dit, il ne faut pas oublier qui a rompu l’équilibre de l’écosystème.

La chasse aux phoques est une activité durable, faite dans le respect de la pérennité de la ressource. Chaque année, une équipe d’experts du ministère des Pêches et des Océans du Canada procède à des évaluations des stocks de phoques du Groenland et de phoques gris du nord-ouest de l’Atlantique pour déterminer le TAC (total autorisé des captures) en se basant sur des modèles de populations qui prennent en compte la mortalité, la natalité, et toutes les sources d’incertitude dans une optique de conservation de l’espèce (c’est ce qu’on appelle l’approche de précaution). Au cours des dernières années, l’écosystème a changé. Les années présentant peu de glace (de plus en plus fréquentes) viennent avec des taux de mortalité plus élevés pour les phoques, qui dépendent de cette glace pour la naissance de leurs petits. Les contingents de capture sont donc établis avec précaution, toujours dans l’optique de récolter une partie de la population qui représente un surplus, sans affecter la régénération du stock. Dans le cas des deux espèces principalement chassées (le phoque gris et le phoque du Groenland), on en capture généralement beaucoup moins que ce qui est disponible.

QUI PEUT CHASSER LE PHOQUE?

Au Québec, la chasse aux phoques se pratique à l’aide de bateaux ou à pied, à partir des côtes. Pour chasser le phoque, comme pour la pêche, un permis est nécessaire. La grande majorité de ces permis (65 à 80 %) sont destinés à la chasse commerciale. Le reste couvre la chasse de subsistance pour les Premières Nations et la chasse récréative pour usage personnel. Bien sûr, ne part pas chasser le phoque qui veut. Cela prend un permis ET AUSSI une formation, offerte par Pêches et Océans Canada, et par des collaborateurs comme Exploramer.

À défaut de le chasser, vous pouvez découvrir les vertus culinaires du phoque. Le programme Fourchette bleue encourage les consommateurs, les restaurateurs et les poissonniers du Québec à découvrir de nouvelles espèces comestibles mais méconnues du Saint-Laurent, dans une perspective de développement durable et de protection de la biodiversité. Et les phoques gris et du Groenland font partie de la liste en 2021!