Marc-André Morin, Le Journal des citoyens, Prévost, février 2022
Pour réprimer la révolte des Patriotes, les autorités coloniales britanniques avaient recruté des miliciens parmi les immigrants récents sans métier et sans lien ni affinité avec la population locale. L’Empire britannique n’a jamais fait dans la dentelle pour réprimer les révoltes.
À cette époque, le principal outil de diplomatie était le fusil William-Henry calibre .55 ou la baïonnette de seize pouces qu’on accrochait au boute du fusil. Après avoir tiré du canon sur les églises et brulé des fermes, tué et pillé, la récompense arriva : un canton complet avait été mis de côté, montagneux et recouvert d’une dense forêt.
La solde de milicien était symbolique, mais la récompense en centaines d’acres de terrain était alléchante. Les miliciens se demandaient comment faire un coup d’argent rapide avec l’aide des commerçants anglais et américains pour la mise en marché et l’exportation. On coupe tout, on brûle et on change la forêt en milliers de barils de potasse à cent dollars. La plupart des bûcherons locaux ayant refusé de participer à un tel gaspillage, la main-d’œuvre fut recrutée au Vermont et dans l’état de New York. La potasse était très en demande dans l’industrie du savon, de la porcelaine et du textile. Les terres appauvries d’Europe en consommaient à la tonne comme engrais, et avant la découverte des gisements sous terrains en Allemagne, la principale source était la récupération des cendres de bois durs.
Mon père qui était né en 1908 a connu des témoins de l’époque. Selon sa version, lorsqu’il s’agissait d’un flanc de montagne couvert de conifères, les miliciens anglais y mettaient le feu tout simplement. Pour le gros bois franc, ils coupaient les arbres au ras du sol; pour ne pas créer d’obstacle, ils laissaient rouler les billots dans le feu, au pied de la pente.
Les feux ont brulé pendant des semaines, par endroit la terre a brulé jusqu’au roc, encore aujourd’hui on peut voir les sommets rocailleux ou une végétation clairsemée a mis des décennies à s’implanter. C’était évidemment une affaire de gros cash, cent dollars le baril à une époque où la livre de beurre coutait moins de 25 cents et une boîte d’allumettes de bois coûtait trois cents.
Jusque là, la production de potasse était un revenu d’appoint pour les colons, qui récupéraient un sous-produit du déboisement de leurs terres.
S’ils réussissaient à ramasser quelques barils de potasse à une époque où la poche de farine coutait un dollar et un bon canot se vendait dix cents le pied, la sécurité de la famille était assurée pour un bout. Cette entreprise a suscité un tel dégoût à l’époque, que la plupart des gens ont refusé d’y être mêlés. Ça devrait nous inspirer, au moment ou quinze pour cent de notre forêt est occupée par des chemins forestiers.