Estelle Bernard. Photo : François Charbonneau

Estelle Bernard va son chemin

Paulette Vanier, Le Saint-Armand, Armandie, décembre 2021

Qui suis-je ? Où vais-je ? Quel chemin emprunter pour calmer cette quête existentielle, pour donner du sens à ce passage sur Terre ? Pour neutraliser cette angoisse profonde de vivre. À travers ma démarche artistique, je trouve mon chemin. Je connecte avec mon « essence-ciel ». Je deviens le Chemin qui dort en dedans de moi et je le suis et je le Suis.

Voilà qui condense, en quelques mots, la démarche artistique d’Estelle Bernard, laquelle démarche s’appuie sur une existence entière à vouloir comprendre ce qui se cache au plus profond de l’âme humaine.

Cette artiste multidisciplinaire qui a pris le pinceau sur le tard, à l’issue d’une longue carrière comme travailleuse sociale, n’a de cesse, depuis, d’exprimer à travers la peinture, l’estampe, la céramique, la fabrication du papier son questionnement, certes, mais aussi sa fascination pour les matières et les végétaux, et son amour de la Nature, qu’on se doit ici d’écrire avec un grand N tellement cela ressemble dans ses propos à une divinité oubliée, puis retrouvée.

Le parcours de l’artiste est sinueux, rempli d’obstacles et d’interruptions, la vie et ses imprévus ayant leurs exigences propres. Elle sait depuis toujours que réside en elle ce besoin impérieux d’exprimer longuement l’indicible, mais il faudra attendre que les bons ingrédients soient réunis pour le faire. Entre-temps, elle s’instruit. Auprès de Maya Lightbody, née Maria Smodlibowska, une Polonaise arrivée au Québec en 1951 et formée à la peinture, au graphisme et à la sculpture, qui avait ouvert son atelier aux néophytes souhaitant explorer diverses techniques artistiques. Ce sera l’étincelle de départ. Aussi auprès de Seymour Segal, artiste-peintre qui se décrit également comme un « provocateur de créativité » et qui lui enseignera le pouvoir qu’a la peinture de nous révéler à nous-mêmes. C’est une immense fenêtre qui vient de s’ouvrir et qui ne se refermera plus. Auprès d’autres également, desquels elle recevra le savoir nécessaire à sa reconstruction artistique. Car nous sommes tous des artistes déconstruits, n’est-ce pas ?

Elle glane, la glaneuse, chez Bénédicte Deschamps, chez Bernice Sorge, chez Micheline Durocher, chez Hélène Duperon, chez Hélène Lessard, chez Sara Mills et Michel-Louis Viala, des morceaux de connaissance, des bouts d’inspiration qu’elle stocke dans sa mémoire, mais aussi dans ses mains et ses bras, lieux corporels où l’art va s’exprimer sans impératif ni dessein. Seymour Segal ne lui a-t-il pas appris que c’est le processus qui compte, celui qui consiste à rester centré sur ce vers quoi le mouvement du bras, le mouvement du pinceau, le mouvement de la spatule cherchent à amener l’artiste ?

Prudente, elle suit son petit bonhomme de chemin, participant à de nombreuses expositions collectives entre 2002 et 2020, sans oser se lancer seule dans l’aventure. Puis, en 2021, c’est le grand déblocage. Comme si toutes les chaînes intérieures et extérieures venaient soudainement de se briser. On lui propose une exposition solo à la bibliothèque de Cowansville, ce lieu de savoir où les mots prennent toute leur importance. Le thème s’impose de lui-même : Je Suis le Chemin. Belle ambiguïté entre ce que l’on est et ce que l’on suit qui réside dans la structure même de notre langue.

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