Plaisirs et déconvenues d’autrefois au temps des Fêtes, Noël chez les Thibault

Antoine-Michel LeDoux, Le Sentier, Saint-Hippolyte, décembre 2021

Le temps des Fêtes est propice à la nostalgie du passé. Deux doyens de Saint-Hippolyte, Suzanne Lauzon-Thibault et son conjoint André Thibault qui célébrera 96 ans en janvier sont heureux de raconter les plaisirs et déconvenues de leur enfance en ce temps de l’année.

Ils ont connu la pauvreté et la misère des familles colonisatrices qui s’arrachaient à la vie sur ces terres rocheuses, peu productives du lac des Quatorze-Îles. Ce territoire montagneux et boisé était situé « à la porte du Nord » laurentien. Heureusement pour ces familles, l’avenir s’est annoncé meilleur par la présence des premiers lacs naturels d’importance au nord de Montréal et l’intérêt des Montréalais. Dès les décennies 1910 et 1920, ces lieux attirent d’abord des pensionnaires occasionnels, puis des vacanciers estivaux qui deviendront plus tard des villégiateurs. « Des touristes généreux nous ont permis de mieux vivre et même d’être gâtés, rappelle Suzanne. Chaque début d’été, certains apportaient pour nous dans leurs bagages, des boîtes remplies de vêtements trop petits pour eux ou démodés. Nous y trouvions aussi avec bonheur des jouets, des livres et du matériel scolaire. Avec ma mère, nous décousions ces vêtements et en fabriquions à notre grandeur. Au temps des Fêtes, des boîtes envoyées par la poste contenaient parfois des vêtements neufs et des étrennes. »

 

Pauvreté et misère du temps

Pauvreté et misère du temps de colonisation ont laissé malheureusement aussi des séquelles. La mortalité infantile, tout comme celle des femmes en couches, étaient grandes. Suzanne et André se sont donc retrouvés orphelins très tôt dans leur vie. Ils n’ont pu alors compter que sur leurs aînés pour les initier aux apprentissages de la vie. Cuisine, travaux ménagers, potager, entretien des animaux et travaux de ferme, tout ce que comporte alors l’ordinaire, leur furent enseignés par des aînés parfois taquins.

Corolus Thibault, entouré de ses petits-enfants. Noël 1948. Crédit : Famille Suzanne et André Thibault

Art de cuire une dinde chez les Thibault

Pour Suzanne, ce fut son cas lorsqu’il eut s’agit d’apprendre la cuisson d’une dinde. André et moi commencions à sortir ensemble. J’étais jeune et naïve devant les agirs et les paroles des garçons. Comme j’étais invitée pour le repas de Noël, je me suis offerte pour aider. On me confia la cuisson de la dinde. Comme dans ma famille, nous n’avions jamais mangé de dinde, je ne savais pas trop comment procéder. Ce fut Lionel, l’un des grands frères d’André qui fut mon mentor. Imaginez, dans cette famille de treize enfants dont les douze aînés sont des gaillards toujours affamés, cette pièce de viande précieuse ne devait pas être ratée. Chacun passait donc régulièrement près de moi pour jeter un coup d’œil, s’assurant que je ne gâtais pas ce repas tant attendu.

 

Famille tricotée serrée

Même le père d’André s’en mêla. En plongeant ses doigts dans la boîte à sel derrière le réchaud du poêle, il en saupoudra la volaille généreusement, ajoutant moqueur « il faut en mettre pour rehausser le goût de la viande. Et de l’amour, il n’y en a jamais trop! », me lança-t-il en me faisant un clin d’œil. Puis ce fut au tour de Lionel. Calant la louche de chaque côté de la viande pour en puiser un liquide bouillant et en arroser la dinde, il me dit : « il faut caresser délicatement la bête de son jus de cuisson, du dessus en descendant vers les pattes, pour la rendre tendre et amoureuse au goût! »

 

Trahison : Les bonbons cassés Laura Secord

André Thibault se rappelle aussi avec délectation des bonbons cassés que sa famille recevait au temps de Fêtes. Ce don d’un villégiateur généreux, concessionnaire d’un magasin Laura Secord montréalais, constituait une réserve appréciée de sucrerie pour les treize enfants de la famille.

 

Les yeux brillants, il nous raconte…

Nous avions hâte de voir arriver par la poste cette boîte précieuse et odorante, reconnaissable par son étiquetage. Déposée sur la table de la cuisine et attendant d’être ouverte par notre père, nos sens étaient déjà titillés par l’odeur et nous anticipions les plaisirs délectables à venir. Vous savez lorsqu’on est privé de quelque chose, le plaisir est encore plus grand! Bien que nous sachions que durant l’Avent, période de sacrifices et de privation avant Noël, c’était presque péché de se délecter d’une sucrerie, mais la tentation était toujours trop forte. Sous les yeux bienveillants de notre père, émerveillé comme nous de découvrir ce trésor savoureux aux mille coloris, nous succombions avec lui, sans remords.

Puis ce plaisir prit fin. Quelle surprise avons-nous eu une année, quelques semaines avant Noël, de voir apparaître sur le bureau de mademoiselle Pépin notre maîtresse d’école, une boîte étrangement semblable à celle que nous recevions. Taponnant le dessus de la boîte avec sa main, mademoiselle Pépin amorça alors son discours. Sourire aux lèvres, elle nous annonçait que moyennant la démonstration d’efforts académiques et comportementaux de notre part, « le Bon Jésus nous réservait de belles surprises pour Noël! »

Tout au long du chemin de retour de l’école, nos soupçons nous conduisirent à la conclusion que cette boîte était très semblable à celle que nous recevions habituellement. Partageant nos inquiétudes avec notre père, étonné, il se mit à chercher qui aurait bien pu placoter de cela à mademoiselle Pépin. Ce ne fut pas long que notre frère Ernest, naïf, se dénonçât. Ce dernier, relativement âgé pour suivre les cours de mademoiselle Pépin, était étrangement depuis quelque temps, toujours volontaire pour lui offrir toutes sortes de services. Si pour nous, cette perte de délicieuses friandises fut regrettable, pour lui, ce fut le cœur de cette dernière qu’il gagna quelques années plus tard!