Marie Hanquez, La Quête, Québec, juillet 2021
L’exposition Picasso. Figures est à l’affiche du Musée national des Beaux-Arts du Québec (MNBAQ) depuis le 12 juin. Alors que de nombreuses biographies du peintre témoignent des rapports violents qu’il entretenait avec les femmes et de son caractère misogyne, de plus en plus de voix s’élèvent pour le canceller. Le MNBAQ vise plutôt à informer les visiteurs et à les laisser répondre eux-mêmes à la question : Faut-il séparer l’œuvre de l’artiste ?
« En 2021, à l’ère de #MeToo, c’était impossible de présenter Picasso seulement pour présenter Picasso », indique d’emblée Maude Lévesque, commissaire de l’exposition Picasso. Figures au MNBAQ.
Une section de l’exposition intitulée « Figures féminines » présente les portraits qu’a peints Picasso des six femmes de sa vie : Fernande Olivier, Olga Khokhlova, Marie-Thérèse Walter, Dora Maar, Françoise Gilot et Jacqueline Roque. « Ces femmes-là ont inspiré Picasso, elles sont à l’origine de périodes particulières dans son travail. On peut sentir leur personnalité dans les œuvres », explique Mme Lévesque.
L’exposition aborde parallèlement la question de la relation entre l’artiste et ses muses. Grâce aux nombreuses biographies de Picasso et aux livres publiés par certaines de ses conjointes et de ses enfants, il est maintenant largement reconnu que Picasso était violent envers les femmes. Mme Lévesque explique « Picasso avait besoin de générer des émotions chez [ces femmes] pour arriver à les reproduire dans la peinture […]. Ce sont des femmes qui ont eu des vies brisées parce qu’elles ont été trop près du personnage ».
Le MNBAQ a choisi de leur rendre hommage en leur consacrant une section de l’exposition présentant leur portrait photographique et de courtes vidéos. On présente notamment leurs pratiques artistiques, qu’elles ont bien souvent dû mettre entre parenthèses pendant leur relation avec Picasso.
Le catalogue de l’exposition pose également la question « Picasso était-il misogyne » ? Rappelons que Picasso aurait un jour déclaré qu’il n’y avait que deux types de femmes : « des déesses ou des paillassons ».
Histoire de l’art et préoccupations contemporaines
Maude Lévesque précise qu’aborder la question de la relation entre Picasso et les femmes était important pour le devoir de mémoire. « On ne veut pas faire un procès à Picasso, mais on a réalisé que le public ne connaissait pas cette facette-là de l’artiste », indique-t-elle.
Pour Mme Françoise Lucbert, professeure en histoire de l’art à l’Université Laval et spécialiste du cubisme, mettre de l’avant la vie des artistes peut cependant apporter des biais sur la manière de voir leur œuvre. « On regarde des œuvres qui ont été produites parfois il y a un siècle, dans une tout autre réalité que la nôtre », explique-t-elle. La chercheuse dresse un parallèle avec le peintre Gauguin, qui a peint des nus de jeunes filles maories de 13 ans. « Avec nos considérations d’aujourd’hui, on regarde ces œuvres-là et elles peuvent bien sûr nous choquer, mais elles nous choquent parce qu’on a nos filtres à nous aujourd’hui ».
Mme Lucbert, qui n’avait pas encore pu voir l’exposition au moment de notre entrevue début juin, a hâte de voir comment le MNBAQ présente le discours parallèle des œuvres et de la vie de Picasso. Elle ajoute, « le rapport d’avidité que Picasso avait aux femmes, il l’avait à la vie, à la peinture ».
De Picasso à la diversité corporelle
En marge de l’exposition Picasso. Figures, le MNBAQ propose d’amorcer une réflexion sur la diversité corporelle. Le musée a réuni un comité d’experts sur ce thème pour produire l’audioguide de l’exposition : le journaliste et auteur Mickaël Bergeron, les fondatrices de The Womanhood Project Cassandra Cacheiro et Sara Hini, et la créatrice de contenu culturel Élizabeth Cordeau Rancourt.
De plus, une quarantaine d’œuvres d’artistes contemporains sont présentées dans l’exposition Ouvrir le dialogue sur la diversité corporelle.
Selon Maude Lévesque, ce thème très contemporain résonne particulièrement avec la quête du génie de l’histoire de l’art. « Au XXe siècle, Picasso s’est acharné dans son atelier à déconstruire la figure humaine et à se détacher des canons esthétiques liés à la représentation du corps humain dans l’art. C’est cet acharnement […] qui nous a inspirés à l’ancrer dans la diversité corporelle. »