Un aperçu des estampes. Photos : Lyne Boulet

La collagraphie, une avenue artistique à découvrir

Lyne Boulet, Le Sentier, Saint-Hippolyte, le 28 mai 2021

Jacqueline Tourigny expose ses travaux de gravure dans la salle multifonctionnelle de la bibliothèque jusqu’au 12 juin. L’artiste sophienne nous propose des estampes qui ont été créées de 2016 à 2020.

D’aussi loin qu’elle se rappelle, Jacqueline Tourigny a été attirée par les arts visuels, surtout le dessin et la peinture. C’est aux Beaux-Arts qu’elle a découvert la gravure. Elle ne s’y est pas consacrée tout de suite. Elle a longtemps peint à l’huile et à l’acrylique. Il y a dix ans, elle s’est mise à la gravure plus intensément. Et elle s’y adonne encore davantage depuis qu’elle a pris sa retraite, il y a maintenant deux ans.

Elle se réjouit d’habiter dans les Laurentides, ce qui lui permet de côtoyer d’autres graveurs à l’Atelier de l’Île.1 « Un environnement stimulant », indique-t-elle. Depuis près de cinq ans, moment où elle a acheté une petite presse, elle travaille aussi dans son atelier presque tous les jours. C’est là qu’elle compose la majorité de ses collagraphies.

 

Collagraphie

La collagraphie, explique Jacqueline Tourigny, c’est une technique d’impression avec superposition de matériaux collés sur un support. Ce support, pour elle, c’est le merisier russe. Elle peut tout autant n’y appliquer que des collages que combiner collages et gravure dans la pièce de bois. En fonction de la texture désirée, elle utilise des éléments organiques, du carton, des tissus, de la ficelle, etc. N’importe quel objet peut être utilisé. Tout dépend de l’effet recherché. Elle dispose ses collages en très bas-reliefs. Plusieurs couches d’acrylique permettent aux matériaux apposés de bien adhérer sur la plaque de bois. Puis vient le moment de colorer. Elle applique de l’encre à l’huile de différentes couleurs, qu’il est important de bien étaler. Une étape délicate. Les couleurs ne doivent pas se superposer ni faire d’amas. Ce qui requiert un essuyage très minutieux. Puis la patience est de rigueur. La matrice2 doit bien sécher. Ça peut être long avant de voir l’image apparaître! On la dépose ensuite sur la presse préalablement calibrée.

L’artiste a appliqué du carborundum3 sur certains des tableaux exposés. On peut coller ces grains très durs sur le support. Il permet de dessiner des formes en relief en employant plus ou moins de grains de calibres différents.

Parallèlement au travail créatif, Jacqueline Tourigny doit apprêter le produit sur lequel sera imprimée la gravure. L’artiste privilégie le papier japonais, un type de papier très fin. Elle détrempe le papier, le met dans du plastique et surveille. Le papier doit rester humide, doit être « à point  », indique-t-elle. Il doit aussi être taillé pour correspondre parfaitement à la taille du bloc de merisier choisi. Elle applique un adhésif sur le papier, le place sur la matrice et passe le tout sous presse. L’encre s’étampe sur le papier qui a adhéré au support. C’est ce qu’on appelle imprimer en chine collé.

 

Créativité

La graveuse reconnaît que l’ensemble du processus est très technique, qu’on doit en respecter les étapes et qu’il doit être effectué avec beaucoup de précision. Elle n’y voit pas du tout un obstacle à la créativité. « En fait, indique-t-elle, j’ai besoin de ce cadre rigoureux pour arriver à m’exprimer. » Jacqueline Tourigny travaille souvent à partir d’un thème. La nature représente pour elle « un immense jardin ». On ressent d’ailleurs très fortement sa présence dans ses œuvres. On y découvre des feuilles, des pétales, des tiges, etc.

« Le collage, dit-elle, c’est la sensibilité, l’éveil, la créativité et l’imagination. Je choisis les matières à coller avec mes sens. J’ai besoin de les toucher, de sentir qu’elles pourront fusionner entre elles. Le carborundum me permet de créer des textures granuleuses avec des tons d’intensité riches et variés, surtout avec les gris et les noirs. C’est un élément que j’utilise souvent dans un geste spontané. Le choix du papier, quant à lui, apporte une couleur et une texture différentes. L’art n’a pas de limites, s’enthousiasme-t-elle. Il est inépuisable. C’est une porte grande ouverte sur la liberté. Tout devient possible! »

 

Évocation

Jacqueline Tourigny nous présente des œuvres denses, chargées de contrastes subtils et de détails à découvrir. Le tout drapé d’une délicatesse raffinée. Judicieusement disposée sur un long mur, une succession d’estampes se décline, passant graduellement des couleurs froides aux couleurs chaudes. L’artiste n’a pas souhaité donner de titre unificateur à son exposition. Mais elle réussit à livrer au regard des visiteurs des estampes dans lesquelles on retrouve une parenté d’évocation. Il ne nous reste plus qu’à les regarder dialoguer les unes avec les autres.

  1. L’Atelier de l’Île est situé à Val-David. C’est un centre d’artistes autogéré axé sur l’estampe contemporaine.
  2. 2. Le carborundum ou carbure de silicium est un abrasif artificiel en poudre. Obtenu en chauffant du charbon en poudre avec de la silice jusqu’à ce que le mélange cristallise.
  3. 3. Matrice : moule travaillé en creux et en relief. Permet la reproduction.