Océane Kouassi, La Quête, Québec, avril 2021
Lorsque les mots ne suffisent plus, on laisse place aux dessins, mais pas n’importe lesquels. Les émojis ont progressivement réussi à s’infiltrer dans nos codes de langage. Exprimer la colère ou la joie n’a jamais été aussi simple depuis l’apparition de ces petits bonhommes jaunes qui habitent nos cellulaires depuis quelques années. Ce langage rapide et efficace a su séduire plusieurs générations, et continue de marquer notre façon de communiquer au quotidien.
Cette pratique ne date pas d’hier. Avant les visages en larmes de rire, les émoticônes créées à partir de signes de ponctuation du clavier se chargeaient d’habiller les conversations en ligne. Ce n’est qu’en 1997 que la société japonaise *SoftBank* crée les premiers émojis, avant que les entreprises *i-mode* et *NTT DoCoMone* prennent le relais en mettant en place un jeu de 172 émojis. Aujourd’hui, leur utilisation a dépassé les frontières japonaises et est devenue un phénomène mondial.
Pas d’émoji, pas d’émotions
Est-ce que mon destinataire va réellement comprendre ce que j’ai voulu dire si mon message ne contient pas d’émoji ? Ce questionnement tourmente la plupart des utilisateurs. Certains d’entre eux se retrouvent parfois confrontés aux limites des mots, qui ne se révèlent pas assez efficaces lorsqu’il s’agit de retranscrire les sentiments. Kaissa et Louise, respectivement âgées de 24 et 21 ans, sont deux étudiantes qui font partie de cette jeune génération ne pouvant plus se passer de ce langage numérique. Toutes les deux sont d’accord pour dire que cette évolution a permis d’apporter une certaine valeur à leurs messages qui semblaient incomplets.
« J’ai l’impression que ça habille la discussion et puis on exprime mieux ses sentiments. Ça prend du temps d’exprimer ce qu’on veut dire avec les mots », affirme Louise. L’étudiante en droit des affaires fait également part de sa crainte de ne pas réussir à clarifier ses intentions. « Des fois je me dis que j’aurais dû mettre cet émoji pour que la personne comprenne que c’était une blague, ou quelque chose comme ça », renchérit-elle.
Si le fait d’incorporer ces symboles dans la discussion permet de communiquer les sentiments, leur absence est tout aussi parlante. « Si je ne mets pas d’émoji, alors la personne saura que je suis contrariée », souligne Kaissa. Si l’on remonte quelques décennies en arrière, les messages commençant par une majuscule et se terminant par un point avaient un caractère banal. Mais à l’ère du numérique, cela prend un tout autre sens. Ce style « trop » direct peut être perçu comme négatif, et ainsi laisser une atmosphère non chaleureuse.
À l’instar des téléphones intelligents, le média social Facebook s’est démarqué en dévoilant une série de boutons de réaction reflétant plusieurs émotions. En plus des mentions « j’aime » et « partager », les internautes ont désormais la possibilité de réagir à des publications avec l’icône de leur choix. En avril dernier, le média social a inauguré un nouveau bouton « solidaire », afin que les internautes puissent montrer leur soutien au personnel soignant qui est en première ligne face à la crise sanitaire.
Louise qui avoue ne pas être une grande adepte des réseaux sociaux se laisse parfois entraîner par la « vibe » Facebook. Elle explique utiliser avec plaisir les réactions qui s’offrent à elle. « Le bouton “j’aime” ne donne pas vraiment le choix. Parfois, ce n’est pas que tu aimes ou que tu n’aimes pas, ça peut juste te faire rire, ou des fois tu as un coup de cœur », confie-t-elle.
La popularité des émojis se manifeste également auprès des personnes appartenant à la génération X. C’est le cas de Marc, directeur d’usine, âgé de 45 ans. Celui-ci admet s’en servir fréquemment lorsqu’il communique avec ses proches. Le quadragénaire affirme également en faire usage de temps en temps dans le cadre de son travail. « Au début de ma carrière, lorsque j’écrivais des courriels, j’étais très direct. Avec les émojis, le message passe mieux », admet-il. Le directeur d’usine s’est laissé porter par cette tendance grâce à son jeune entourage, « Ça me permet de m’actualiser », ajoute-t-il.
Le miroir de la société
En plus de retranscrire les émotions, les émojis s’adaptent aux évolutions de la société, à ses enjeux, et participent à l’inclusion des minorités. Ainsi, le mouvement *#LesViesNoiresComptent* sur Twitter a, par exemple, été accompagné de l’émoji point levé qui est un symbole de la fierté noire. Ce qui est actuellement au cœur des discussions est autre que l’arrivée de l’émoji seringue qui illustre le vaccin de la COVID-19. Si cette mise à jour du géant Apple commence déjà à faire couler beaucoup d’encre, elle suscite des débats sur les médias sociaux.