Les rues commerciales comme Fleury Ouest sont plutôt désertes à l'heure du couvre-feu. Photo : Philippe Rachiele

Le couvre-feu au temps du Coronavirus

Samuel Dupont-Foisy, Journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, février 2021

« Couvre-feu ». Le mot est sur toutes les lèvres et fait la manchette depuis le 9 janvier, date de début du couvre-feu au Québec. Une première depuis 1918, depuis la Seconde Guerre mondiale? Une première depuis la Crise d’octobre 1970? Ou une première tout court? Cela dépend des médias que l’on consulte. Avant de tenter de départager le vrai du faux, pourquoi ne pas essayer de comprendre le contexte historique de cette mesure exceptionnelle?

Selon  certaines  sources,  le  premier  couvre-feu est imposé aux Anglo-Saxons en 1068 par Guillaume le Conquérant. Les habitants doivent alors couvrir leur feu jusqu’à extinction, de 20 h à 6 h (contre 20   h à 5 h au Québec, seulement une heure de différence!). Toutefois, d’autres ouvrages indiquent qu’Alfred le Grand, roi des Anglo-Saxons, instaure un couvre-feu au IXe siècle. Une chose est sûre, le mot anglais, « curfew », est un emprunt du français. Il semblerait que la mise en place d’un couvre-feu est répandue dans les villes européennes au XIIIe siècle.

En Amérique, cette mesure exceptionnelle a essentiellement été utilisée lors de guerres, notamment la Guerre de Sécession aux États-Unis, et pour éviter les excès commis par certains jeunes. Pour cette dernière raison, plusieurs villes québécoises imposent un couvre-feu dès les années 1920.

 

Question complexe

Enfin, quand est-ce qu’un couvre-feu est instauré pour la dernière fois au Québec?  La  question  est  beaucoup  plus complexe qu’il n’y paraît. L’excellent article du Devoir « Trois questions sur le couvre-feu au Québec » paru le 6 janvier présente une mise au point fort pertinente de l’historien Louis Fournier : «    le couvre-feu n’a pas été imposé pendant la crise d’Octobre de 1970. […] la Loi sur les mesures de guerre alors en vigueur n’a pas appliqué cette disposition, précisément. L’interdiction du Front de libération du Québec (étrangement autorisé jusque-là), oui. Des arrestations et des détentions de personnes soupçonnées d’appartenir ou de soutenir le FLQ, oui. Mais pas de couvre-feu. » M. Fournier rappelle aussi que des tanks n’ont pas circulé alors au Québec.

Le même article explique que « la dernière restriction de circuler du genre au Québec remonte à la grippe espagnole de 1918 » et cite l’historien Mourad Djebabla-Brun : « On avait les mêmes directives qu’on a aujourd’hui, dans la mesure où on avait fermé les églises, les cinémas, les magasins et qu’on demandait à la population de rester chez elle ». Quant aux couvre-feux de la Seconde Guerre mondiale, ils n’auraient été que partiels, d’une durée de dix minutes environ. Dans l’article du Soleil « Couvre-feu : une première depuis la Seconde Guerre mondiale » paru également le 6 janvier, l’historien Réjean Lemoine explique que le très court couvre-feu de 1918 est en fait instauré en raison des émeutes contre la conscription.

Il semblerait donc que la réponse dépende de la définition de couvre-feu. Le mot de la fin pourrait ainsi revenir à Donald Fyson, professeur titulaire au département des sciences historiques de l’Université Laval. Dans l’article « Couvre-feu généralisé : oui, c’est une première au Québec » du Journal de Montréal paru le 8 janvier, il énonce : «    À ma connaissance, il n’y a eu aucun couvre-feu généralisé pour l’ensemble du Québec ». Voilà qui permettrait sans doute de trancher la question une bonne fois pour toutes!