Pour l’artiste Grégoire Ferland, le mariage de sculptures et de peintures se fait bien.

Les fantômes de l’inconscient hantent le Victoria Hall

Pierre Hébert, Le Haut-Saint-François, Cookhire-Eaton, le 16 septembre 2020

Au moins jusqu’en décembre, l’artiste multidisciplinaire Grégoire Ferland et quelques-unes de ses œuvres hanteront la Galerie d’art Cookshire-Eaton du Victoria Hall avec l’exposition Les fantômes de l’inconscient.

Une  série  de  20  sculptures  et  sept  grandes  toiles  enveloppent  l’enceinte  du  bâtiment centenaire érigé en 1875 par une loge francmaçonnique.  Les  sculptures  en  aluminium  découlent  d’une  série des années 80 conçue à partir de styromousse.

« L’an passé,  j’ai  dit : je  vais  les  faire  couler.  La  fonderie  et  le  polissage,  ç’a  été  un  gros  travail. Avec les aluminiums, il  y  avait  ces  tableaux-là  qui  existaient  depuis  2010.  J’ai  dit  :  ah  !,  ça,  c’est  des  fantômes,  on  va  les  amener  avec  ces  images-là  qui  se  recoupent.  C’est  un  peu  comme  ça  en  réunissant  les  matériaux pis le langage qui va  ensemble.  C’est  devenu  Les  fantômes  de  l’inconscient. » L’artiste concède que le  thème  rejoint  davantage  les  tableaux.  Ces  grandes  œuvres  permettent  d’exprimer  davantage  ses  émotions  comparativement  aux  matériaux qui contiennent toujours une contrainte, explique-t-il. «

Les  grands  tableaux  sont  blancs,  pis  moi,  je  travaille  directement  dessus,  pas  de  dessin, pas rien. Je me ferme les yeux et je peins de grands tableaux  de  12  pieds,  mais  je  me  fie  à  moi.  Confiance totale à mes fantômes. C’est mes  fantômes  qui  sortent.  La  forme  se  fait  avec  ma  main. Aucun dessein, aucune réflexion, j’avance, j’avance, j’avance  jusqu’à  tant  que  je  dise  ah  !,  OK,  le  tableau  je  le  vois.  Il  est  rendu  là  et  je  le  termine. »  Pendant  une période,  l’artiste  est  littéralement envahi d’une énergie débordante.  «  Ça,  c’est  du  mouvement  d’énergie,  c’est  très  intense.  Ça  a  duré  15  tableaux et il ne faut pas que j’arrête  parce  que  l’énergie  est  là.  À  tous  les  jours,  faut  pas  que  j’arrête  parce  qu’après l’énergie est tombée, elle est épuisée. J’ai vidé les fantômes », soupire-t-il. Pour travailler dans le vide comme ça, enchaîne l’artiste, « il faut vraiment que tu sois dedans. Cette espèce de liberté totale, il  faut  que  tu  aies  l’énergie,  le  boost  de  l’énergie  et  tu  la  garroches. »  Pour  cet homme  dynamique,  il  s’agit  de  «  liberté  totale  parce  que  ce  n’est  pas  toi  qui  décides.  Ce n’est pas ton cerveau qui décide,  c’est  les  fantômes,  c’est l’inconscient qui décide, c’est  lui  qui  trace,  ce  n’est  pas  toi,  pas  ta  tête.  C’est  le  langage intérieur. »

Le  mariage  de  toiles  et  de  sculptures  se  fait  bien,  estime  l’artiste.  «  La  sculpture  a  une  limite,  c’est  un  matériau. Un matériau a toujours une limite. La sculpture en  métal,  le  fer  a  toujours  une  contrainte  que  la  toile  a  pas.  La  toile,  c’est  zéro,  tu  es  dans  le  vide,  tandis  que  l’autre  a  une  contrainte  et  cette contrainte tu vas la garder  dans  ta  façon  de  penser.  Elle sera jamais toujours aussi libre que l’autre, mais elle va se  rejoindre  parce  que  c’est  toi. C’est toi le personnage. »

Philosophe  dans  l’âme,  Grégoire  Ferland  n’a  pas  la  prétention d’imposer son art ou  quelque  message  que  ce  soit.  «  Souvent,  explique-t-il,  les  gens  me  demandaient  qu’est-ce  que  ça  veut  dire.  Moi, je disais non. C’est pas moi qui vais te le dire, c’est toi  qui  vas  me  le  dire.  Moi,  je l’ai fait, dis-moi ce que tu vois,  ce  que  tu  ressens.  Un  tableau, c’est une émotion, si je  lui  dis,  le  spectateur  aura  une idée préconçue, ça ne sera plus lui. »

Celui  qui  compte  à  son  actif  des  expositions  individuelles  et  collectives  sur  les  deux  Amériques  (Toronto,  Montréal, Québec,  New  York,  New  Jersey ainsi qu’en Amérique latine San Salvador, Mexique et  Colombie)  est  heureux  d’exposer  à  la  Galerie  d’art  Cookshire-Eaton.  Il  est  une  vieille  connaissance  du  propriétaire,  Gilles  Denis,  et  se  fait  un  plaisir  de  collaborer  avec  lui  au  bénéfice  de l’art. « Gilles, on s’est croisé ici,  mais  c’est  un  gars  de  Montréal.  Il  était  dans  notre  gang  à  Montréal,  la  gang  d’Outremont. » Après  avoir bourlingué  à  divers  endroits  sur le globe, Grégoire Ferland a  posé  pied-à-terre  à  East  Angus.  «  Je  savais  pas  que  Gilles  était  ici.  Ça  prit  trois  ans, on s’est croisé. On s’est remémoré  des  affaires  et  il  m’a  dit  qu’il  s’intéressait  à  l’art. Il m’a dit : moi, je fais ci,  je  fais  ça.  Ça  fait  qu’on  travaille en équipe un peu. » D’ailleurs,  l’artiste  ne  fait  pas  qu’exposer,  il  a  mis  la  main à la pâte afin de rendre la salle adéquate et digne de l’appellation de galerie d’art.

Arborant  une  chevelure  blanche,  l’artiste  n’a  pas  l’intention  de  lever  le  pied.  Il  cite  un  ami  et  collègue,  Pierre Bougie, qui disait : « je fais de l’art parce que j’ai pas le  choix.  Je  suis  obligé  d’en  faire  parce  que  c’est  dans  moi. C’est comme un mécanicien, ajoute M. Ferland, qui va débâtir et rebâtir des autos, ou il va faire de la course. Il est obligé de faire de la mécanique. L’art, c’est pire que les autres  métiers,  parce  que  tu  y vas pas pour la rentabilité. C’est quelque chose qui vient du cœur et c’est gratuit. C’est dans toi. » Outre les projets de peinture,  d’écriture  qui  donneront sur un troisième livre de  poésie,  Grégoire  Ferland  travaille sur un projet performance  portant  sur  le  rêve  et  auquel  les  échelles  de  bois  prendront beaucoup d’espace. Il souhaite le présenter à son église, qui lui sert d’atelier à East Angus, pour l’été 2021. Comme  si  ce  n’était  pas  suffisant,  il  collabore  avec  divers intervenants du milieu à  la  création  d’un  musée  de  conservation  qui  serait  situé  à  l’intérieur  de  son  atelier.  «  Je  suis  prêt  à  quitter  mon  atelier pour en faire un musée de  conservation.  On  s’est  rendu compte que les musées n’accueillent  plus  d’œuvre.  Ils n’ont plus de place. Il y a beaucoup  d’artistes  vieillissants qui ont plein d’œuvres et ne savent pas où les mettre. On n’est pas pour les jeter aux poubelles  ou  dans  le  feu », lance-t-il.  On  avance,  mais  c’est un projet qui va prendre peut-être quatre ou cinq ans, ajoute-t-il  sur  un  ton  posé.  Encore plein d’énergie et de fougue,  Grégoire  Ferland  n’a  pas  l’intention  de  réduire la cadence au contraire, tout comme l’art, les projets semblent le nourrir.