Stéphanie Dufresne, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, juin 2020
Ce n’est un secret pour personne, le Québec dépend des fruits et légumes provenant de l’étranger, au printemps et pendant l’hiver. Cet été, la crise sanitaire limite l’accès aux travailleurs étrangers sur les fermes. Ajoutez à cela des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement en raison des aléas climatiques qui s’intensifient et vous obtenez la recette parfaite pour précariser sérieusement le système alimentaire.
La crainte que ces perturbations se répercutent sur l’accessibilité et sur le prix des aliments, combiné au temps personnel libéré par le confinement, a fait naître avec le printemps un véritable engouement pour l’autosuffisance. Les semenciers ont connu une importante augmentation de leurs ventes, et il y a eu des pénuries de poules pondeuses domestiques. À Trois-Rivières, le guide Démarrer un potager de l’organisme La Brouette a été téléchargé 5574 fois en quelques semaines, une augmentation de 440% par rapport à la même période l’an dernier.
Cultiver ensemble
Des initiatives collectives émergent. À l’image des « potagers de guerre » de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, ou les citoyens des pays alliés étaient encouragés par les gouvernements à produire leurs propres légumes, fines herbes et fruits, le groupe d’action « Jardins de la Victoire – COVID-19 » s’est donné comme mission de favoriser la souveraineté alimentaire populaire en mobilisant des propriétaires de terrains et des jardiniers pour multiplier les potagers. Il comprend plus de 4000 membres sur Facebook.
On voit aussi une multiplication des groupes de citoyens qui s’organisent pour s’entraider et partager leurs récoltes. Un résident de Bécancour, François Poisson, explique que pour faire face aux pénuries et augmenter son autonomie alimentaire, il a créé avec un groupe d’amis un micro-réseau de résilience locale. « Tous et toutes n’ont pas la même qualité de terre ni la même expertise avec les différents produits. Certaines ont des arbres fruitiers ou des poules et pas d’autres. Par exemple, chez moi, on a déjà été débordés de concombres. Avec le réseau, on pourra échanger pour autre chose, comme des carottes qu’on a de la difficulté à faire pousser chez nous. »
La pandémie de la COVID a vu naître une demande importante pour des fruits et légumes produits localement. Plusieurs familles ont même exprimé la volonté de démarrer des potagers.
Le soutien à l’agriculture de proximité prend aussi de l’importance. Des fermes maraîchères biologiques ont écoulé leurs abonnements aux paniers de légumes hebdomadaires en un temps record cette année. C’est le cas de Frédéric Morin, co-propriétaire de La petite terre maraîchère, une entreprise agricole située à Saint-Boniface. La vente de plants à la ferme que l’entreprise a tenue au mois de mai a aussi connu un succès énorme « c’est phénoménal, du jamais vu! nous avons vendu deux fois plus de plants que l’année dernière, en deux fois moins de temps. La pandémie a définitivement réveillé un fort engouement pour la culture des légumes et des fruits. De nombreux clients qui sont venus à notre événement nous ont avoué qu’ils réalisaient un potager pour la première fois cette année » observe-t-il.
Tous les œufs dans le même panier
Le discours dominant veut que le progrès et la prospérité passent par la spécialisation et l’industrialisation des exploitations agricoles; qu’il nous faut agrandir la superficie des fermes, utiliser de la machinerie et des produits chimiques pour accroître la production et nourrir la population.
Or à l’évidence, ce système productiviste n’a pas réussi à vaincre l’insécurité alimentaire puisque 4,4 millions de personnes au Canada la vivent encore régulièrement. Par ailleurs, notre système agricole est plus que jamais dépendant des énergies fossiles et des intrants chimiques. La distribution alimentaire se concentre dans les magasins grandes surfaces. Devant les tablettes d’épicerie de produits transformés et suremballés, l’aberration saute aux yeux : l’intensification agricole et l’hyper-mécanisation a fini par rompre notre lien avec notre nourriture.
Appuyer la diversité
Dans la foulée des discussions sur la souveraineté alimentaire du Québec, il serait donc sage de nous intéresser et de stimuler la diversification des modèles et des échelles d’action. Après tout, l’individu qui fait son petit potager, les collectifs de citoyens jardiniers, les municipalités qui soutiennent l’agriculture urbaine, les fermes familiales vivrières et celles qui font du maraîchage bio intensif axé sur la distribution en circuit court, contribuent aussi à l’autonomie alimentaire du territoire.
Consultez notre dossier sur les enjeux agroalimentaires: Des plants pour l’avenir
Sachant que l’impact de la pandémie sur notre système alimentaire n’est qu’un préambule à ceux qui seront causés par les crises climatiques à venir, il est encourageant de constater une volonté de la population de prendre en charge son autonomie alimentaire. Tout comme les habitudes acquises à cet égard à la suite des deux grandes guerres, la production alimentaire à petite échelle, axée sur la communauté locale, pourrait bien sortir gagnante de la crise que nous traversons.