Rachel Grou, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, mai 2020
Décidément la pandémie et le confinement en ont inspiré plus d’un. Les médias nous offrent une constellation de textes, vidéos, chansons, pastiches de circonstance. Certains sont complètement déjantés, d’autres touchants, réconfortants. Je me joins au concert en pianotant à mon clavier. Élucubrations sur un fil conducteur.
Après quelques circonvolutions aux confins de la planète, convaincu de ne vouloir épargner ni comtes, ni comtesses, un quelconque coronavirus s’immisça dans nos contrées. Le contexte s’y prêtait bien : on venait de reprendre le contrôle de la circulation des convois ferroviaires et les séries éliminatoires n’avaient pas commencé. Moment tout indiqué pour accomplir un sombre dessein, un plan préconçu de longue date. Sans compassion, afin de compliquer la vie de la population et d’ébranler ses convictions, Corona commença par se convertir en Covid-19. La confusion s’installa et l’inconnu inquiéta. Plusieurs refusèrent d’en être décontenancés et ne voulurent conclure qu’en un banal inconvénient dont les effets seraient bientôt complètement circonscrits. D’autres au contraire reconnurent la complexité du virus et de la contagion sous-jacente. Ils sonnèrent l’alarme mais furent d’abord éconduits par ces sceptiques qui refusaient de voir leur confort compromis. Covid comprit rapidement qu’il avait les coudées franches et qu’il pouvait, sans complaisance et sans contrainte entreprendre une contamination systématique. Il fit si bien qu’on en vint bientôt à un constat : il s’agissait d’une pandémie. Évidemment, les conspirationnistes énoncèrent leur conclusion : des forces obscures complotaient pour arriver à leurs fins.
Les autorités compétentes s’installèrent aux commandes afin de conforter la population. Tous les jours, trois comparses rendirent compte des données compilées conformément aux formules reconnues. Ces données conduisirent aux décisions et recommandations appropriées. On conseilla d’abord de considérer des mesures d’hygiène convenables et rigoureuses. La situation se compliqua lorsque les cas de contagion se multiplièrent. On dut, à contrecœur, imposer le confinement. Finis les congrès, concerts, rencontres conviviales. On déconseilla aux jeunes d’échanger des produits « biologiques », avec ou sans condom. Chacun dut rester dans son cocon et les conversations, à distance, seraient désormais téléphoniques ou virtuelles.
Comment réagirent les gens? Conscients de la nécessité de contribuer au bien commun pour affronter l’inconnu, la plupart des confinés refusèrent d’être des cons finis et se sont conformés aux contraintes, rigides mais combien nécessaires. On mit donc à contribution les diverses connexions disponibles pour garder contact avec ses êtres chers. Qu’on se le dise, les sacrifices consentis étaient considérables. Quel crève-cœur de ne pouvoir approcher les aînés et les aimés qu’on aurait voulu seconder, consoler, réconforter. On reconnut le sens profond des mots empathie, compassion, solidarité, communauté, reconnaissance, bénévolat… On conjugua à de nouveaux modes les verbes servir, accompagner, aider, soutenir, comprendre, aimer. Les gestes simples, les plaisirs banals et quotidiens reconquirent leurs lettres de noblesse.
Hélas, minimisant les conséquences appréhendées, certains récalcitrants ne se sentirent pas concernés et firent fi des consignes. Ils compromirent ainsi les efforts de leurs concitoyens consciencieux.
Sur le Web, comme toujours, le pire et le meilleur se côtoyaient. Profitant de la confusion ambiante, des êtres sans scrupule conçurent des arnaques pour soutirer de l’argent aux plus vulnérables. On a aussi publié des contrevérités, des recettes de concoctions simplistes et douteuses, au grand dam de la communauté scientifique qui les réfuta, voire les condamna. Comment concevoir, même une seconde, qu’on puisse combattre le virus en buvant de l’eau chaude? Racontez ça à un cheval de bois, il va ruer! C’eût été trop simple et l’on eût, à ce compte, tôt fait de contrecarrer la pandémie. D’autres convoquèrent à leur secours anges et archanges qui pourtant n’avaient rien fait (ni battement de cil, ni battement d’aile) pour contrer la contagion. Comme on dit ils dormaient au gaz. Mieux valait confier son sort à ceux qui posaient quotidiennement des gestes concrets et efficaces, confrontés à la déconvenue collective dans des conditions souvent inconfortables.
Heureusement, pour contrebalancer ces sornettes (pour ne pas dire conneries), des initiatives louables virent aussi le jour sur la toile ; entre autres elles visaient à soutenir l’économie qui connaîtrait, on le prévoyait, une longue convalescence. La patience des confinés fut mise à rude épreuve lorsqu’on reconduisit l’échéance prévue des mesures avant de pouvoir se permettre de décompresser et baisser la garde.
Peu à peu, la compétence des soignants, accompagnée des efforts concertés de la population, eut raison de l’ennemi. À petits pas comptés, on entreprit la reconquête de la vie d’avant. L’épreuve se transforma en accomplissement communautaire, d’importantes leçons furent tirées pour la continuation du monde, on modifia les façons de voir, de faire. Après avoir franchi le Rubicon, tous en ressortirent moins cons. Du moins l’espère-t-on.