Photo : CLAUDIO SCHWARZ | UNSPLASH

Ça va pas pantoute !

Laurent Soumis, L’Itinéraire express, Montréal, le 24 avril 2020

« Ça va bien aller », nous répète-t-on depuis des semaines. Plusieurs d’entre nous n’en sommes pas sûrs. Pas sûrs, mais pas pantoute ! En fait, ça va pas bien pour tout le monde. En tout cas, pas de la même façon et pas en même temps.

Dans les rangs des personnes âgées, que François Legault appelle désormais « les sages », l’hécatombe se poursuit dans toute son horreur. Mardi, le premier ministre Legault reconnaissait que les personnes en résidence représentaient 850 des 1041 décès. Environ 2300 résidences sur 2600 n’ont aucun cas de COVID-19, insistait-il. La situation était « sous contrôle » dans 220 établissements, mais 80 résidences éprouvaient de sérieux problèmes.« Nous devons reprendre le contrôle dans les CHSLD et les résidences privées», martelait M. Legault après avoir obtenu des renforts du personnel médical, des médecins spécialistes, des militaires et des aidants naturels.

À la décharge du gouvernement, il faut se rappeler qu’en temps normal il y a 1000 décès de personnes âgées par mois. Tous âges confondus, le Québec a franchi cette semaine le cap des 20 000 personnes infectées et de 1000 personnes décédées.

 

On anticipe des « milliers de morts »

En privé, nous apprenait La Presse, M. Legault s’attend « à des milliers de morts ». On record, son attaché de presse a reconnu que le bilan dans les maisons d’hébergement risquait d’être apocalyptique.

À deux reprises cette semaine, le Dr Horacio Arruda, le patron de la santé publique, a mis l’accent sur les 30 000 à 60 000 vies que la distanciation et le confinement ont permis de sauver. « Ce qu’on a fait a fonctionné, disait-il. Nous avons sauvé des milliers de vies. »Bref, ce qu’on a gagné d’une main, on l’a perdu de l’autre. C’est selon. Parmi tous ceux qui passent par les soins intensifs, 86 % guérissent, rappelle-t-il. En ces temps de pandémie, la vie semble ramenée à une statistique et l’âge, à une probabilité.

 

Face à trois épidémies

Reste que plus de la moitié des cas canadiens de COVID-19 se retrouvent en terre québécoise. « Nous faisons face à trois épidémies », expliquait l’épidémiologiste en chef. La plus grande est celle de la transmission communautaire à Montréal. La moitié des cas québécois sont recensés à Montréal.

La seconde – mais de loin la plus morbide – se situe dans les résidences de « sages ». Plus de 80 % des victimes ont plus de 70 ans et vivent généralement en établissements. Enfin, la dernière est plus diffuse. En province, la moitié des régions administratives comptent moins de 300 cas. Les décès y tiennent plus de l’exception que de la règle.

Selon qu’on soit « provincial » ou « métropolitain », « jeune » ou plus « sage », la COVID-19 frappe donc différemment. Nous sommes inégaux dans la vie et inégaux – aussi – face à la maladie. Ainsi, les trois quarts de décès se concentrent sur l’île de Montréal et sur l’île Jésus.

Aux États-Unis, en l’absence de tout filet social, les inégalités face à la COVID sont encore plus marquées selon qu’on soit « riche » ou « pauvre », « Blanc » ou « Noir ».

 

Déconfiner ou rester là

 

Pour le premier ministre Legault et le Dr Arruda, le déconfinement s’annonce donc comme un vrai casse-tête. Déjà, sans trop de dégât, on a rouvert les pépinières et les chantiers résidentiels, que fera-t-on maintenant des écoles ? « Si les élèves retournent tous à l’école en même temps et qu’il y a une contamination massive des parents, on sera dans le pétrin », reconnaît le premier ministre Legault.

En revanche, la rentrée d’un million d’élèves en septembre comporte aussi sa part de risques. Surtout qu’on évoque la probabilité d’une seconde vague d’infection à l’automne, qui se superposerait à celle – saisonnière – de l’influenza.

Plusieurs spécialistes, et de nombreux députés de la CAQ, ont de fortes réserves. En général, les Québécois ont bien retenu la leçon de la COVID-19. Si bien qu’ils ne sont pas chauds à l’idée de laisser leur progéniture être utilisée comme des rats de laboratoire.

On devrait connaître la semaine prochaine le plan de relance de l’économie et celui du retour à l’école. Ce dernier devrait être facultatif et volontaire pour les parents qui, ultimement, décideront ou non du retour de leurs enfants sur les bancs d’école.

 

Une rentrée en trois temps

Cette semaine, le scénario le plus évoqué lors des conférences de presse quotidiennes était celui d’une réouverture progressive et graduelle des milieux de travail, accompagnée du retour des garderies – pour libérer les parents travailleurs – suivie d’une reprise de l’enseignement dans les écoles.« Le déconfinement pourrait être plus rapide dans certaines régions », a nuancé le premier ministre. Les prochaines semaines annoncent de périlleuses gymnastiques.

 

Place aux masques !

Les derniers jours ont aussi été marqués par les débats entre « pro » et « anti » masques. D’autant que leur usage est maintenant « obligatoire » dans plusieurs capitales européennes qui ont entrepris de relancer l’activité économique.« Je ne suis pas contre les masques », a dû se défendre cette semaine le Dr Arruda.

À lui seul, faut-il rappeler, le masque ne protège que – partiellement – les personnes que l’on croise. Il ne faut pas que cela amène les gens à relâcher leurs distances, prévient le docteur.

Chose sûre, fait valoir le président de la Société de transport de Montréal Philippe Schnobb, il va bien falloir y venir un jour ou l’autre, ne serait-ce que quand l’heure de pointe aura repris ses droits.

Bref, la semaine qui s’achève nous laisse avec beaucoup de questions et peu de réponses.« Je ne pense pas qu’on va fêter sur les Plaines le 24 juin, résume le Dr Arruda. Pour Noël, je ne sais pas. Je crains qu’on va encore parler de la COVID en 2021… et en 2022. Je le crains. »