Jean-Pierre Lamonde, Au fil de La Boyer, Saint-Charles-de-Bellechasse, avril 2020
Ce début de printemps de la CO-VID-19 qui met les bourses à terre et l’humanité en alerte m’invite à rappeler que Saint-Charles a connu, en 1918, une épidémie bien plus terrible : la grippe espagnole. Au cimetière de Saint-Charles, près d’une cinquantaine de personnes ont été inhumées en rangées, presque côte à côte. Le matin, on enterrait l’enfant et l’après-midi le père. Cette grippe, un mélange de grippe ordinaire et de grippe aviaire, a tué dans le monde entre 25 et 50 millions de personnes, alors que la Grande Guerre qui venait de se terminer en avait tué 18 millions.
À la mi-mars 2020 dans la région, nous n’avons pas encore entrevu le bout du nez du virus et nous le craignons déjà. Revenu de chez Costco avec des caisses de provisions et du papier de toilette pour supporter une guerre, un ami se sent déjà soulagé, mais commence à réaliser qu’il s’est exposé indument dans une foule d’inconnus parce qu’il a cédé à la panique. En 1918, quand la grippe espagnole a fait son apparition, les hommes ont aussi cédé à la panique en buvant abondamment des ponces de gros gin, leur seul remède. Dans les deux cas, ce n’était pas le bon remède.
La grippe de 1918 était bien plus terrible parce que, à cette époque, on n’avait pas beaucoup d’informations, mais beaucoup de rumeurs. La radio n’arrivera que 20 ans plus tard. Quelques familles recevaient le journal, en partie censuré à cause de la guerre. Alors, on n’y écrivait rien qui puisse inquiéter les gens. Quant à la médecine en 1918, elle était désarmée. Pas de vaccins, pas d’antibiotiques, ni d’antiviraux. Aujourd’hui, c’est différent, on a de l’information à longueur de journée, on connait le virus qui s’en vient et l’on sait un peu comment il se propage. On a des cliniques, des hôpitaux, des médicaments et du personnel compétent. Même un élan de solidarité.
Aussi, quand nos soldats descendirent du train à la gare de Saint-Charles fin septembre 1918, on ne savait pas que cette rue de la Gare, avec ses hôtels, deviendrait l’épicentre de l’épidémie qui sévirait aux alentours. Le premier décès répertorié fut celui de Béatrice Asselin, fille de Joseph Asselin, cocher, et de Marie-L.Couture. Deux de ses sœurs décèdérent le même jour. Parions que le papa avait accueilli et transporté, sans en connaitre les conséquences, des soldats à Saint-Gervais ou Saint-Lazare ce soir-là, c’était son métier.
Les gens mouraient comme des mouches, et du 2 octobre au 7 novembre, 47 personnes décédèrent. Presque toutes les familles de Saint-Charles étaient en deuil. Pour le souvenir, rappelons le nom de ces personnes qui tombèrent sans avoir combattu : Béatrice, Angélique et Marguerite Asselin, Alfred Roy, Gabriel Roy, Marie Lemay, Joseph Chabot, Laurette Laflamme, Bernadette Carrière, Wilfrid Roy, Philippe, Louisiana et Amédée Blanchette, Adrien Gosselin, Rosella Rousseau, Delphis Godbout, Antoinette Larouche, Lucien Fournier, Joseph Bouchard, Angéline Chabot, Wilfrid L’Heureux, Marie Fortin, Omer Rousseau, Albert Fournier, Marie-Rose Fradette, Félix Trudel, Alma Nadeau, Pierre Fournier, Elmire et Pierre Prévost, Gérard Labrie, Eugène Chabot, El-mire Dion, Anaïs Vallières, Cécile Martineau, Émile Bilodeau, Philomène Coulombe, Caroline Blanchette, Donat Lemelin, Luc Gosselin, Arthur Samson, Alyre Leclerc, Joseph Pelchat, Émile Courchesne, Marie Gosselin et Denise Nadeau. Jeunes ou moins jeunes, citoyens modestes ou à l’aise, le virus ne faisait pas de différence.
Quelque part en novembre 1918, la « bête » se calma, le ciel s’éclaircit, le curé rouvrit l’église, l’hiver s’annonça, on recommença à vivre. Si vous passez au cimetière de Saint-Charles à la belle saison, essayez de retrouver ces rangées de tombes et d’épitaphes rapprochées. Les restes de ces victimes du virus sont là, et vous êtes maintenant gardiens de leur mémoire.
Le livre du 250e Saint-Charles-de-Bellechasse,1749-1999, raconte le récit de ces tristes journées d’automne 1918 et mentionne l’âge des personnes décédées, de même que le nom des parents. De plus, dans La Boyer de mars 2006, le regretté Roger Patry écrivait un article fort à propos sur cet épisode de la vie de Saint-Charles. En allant sur le site du journal, vous pouvez faire une recherche en écrivant « grippe espagnole », et le journal de mars 2006 s’ouvrira.