Le poids écologique du numérique

Alain Dumas, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, février 2020

Même si le numérique est caractérisé par des activités immatérielles, est-il pour autant écologique ? De nombreux signes montrent que la pollution du numérique n’a rien de virtuel et que les gains d’efficacité ne sont pas encore au rendez-vous.

Les dépenses de l’industrie numérique dans le monde augmentent de 5 % par an, soit  plus du double de la croissance du PIB mondial ! Alors que l’univers numérique ne cesse de progresser, la part de ce secteur dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) a augmenté de 50 % depuis 2013, passant de 2,5 % à 3,7 % du total mondial. Et selon une récente étude [1], cette empreinte écologique pourrait doubler d’ici 2025.

 

Les contours de l’économie numérique

Situons l’économie numérique. Il y a d’un côté 4,1 milliards d’internautes qui consomment des produits en ligne et dont le nombre d’équipements connectés a doublé depuis 2013 ; et de l’autre côté, les producteurs et les diffuseurs de contenus et de services. Ces deux groupes, qui utilisent 34 milliards d’équipements (ordinateurs, cellulaires, consoles de jeux, centres de données, etc.), s’échangent des centaines de milliards de données chaque jour.

En effet, les internautes envoient 295 milliards de courriels par jour, s’échangent chaque mois 20 milliards de messages et 18 milliards de photos et de vidéos sur Messenger, consultent des milliards de documents et écoutent en ligne de la musique, des vidéos et des films. Chaque jour, 3,5 milliards de recherches sont lancées sur Google.

 

Un système énergivore et polluant

Pour stocker et faire circuler ces milliards de données, les géants du numérique disposent de puissants serveurs qui sont logés dans des centres de données, à partir desquels les données voyagent à travers un réseau d’autoroutes numériques planétaires. Chaque donnée parcourt en moyenne 15 000 km. Cette infrastructure immense est très énergivore, d’autant plus que les centres de données doivent être constamment climatisés pour éviter leur surchauffe. C’est pourquoi la consommation d’électricité du numérique, qui augmente de 9 % par an, représente aujourd’hui 10 % de la consommation mondiale d’énergie.

Et comme la production mondiale d’énergie dépend aux deux tiers d’énergies fossiles comme le charbon et le gaz, le numérique est ainsi devenu un grand pollueur atmosphérique. Les émissions de GES du numérique augmentent de 8 % par an et devraient doubler d’ici 2025. Elles représentent actuellement 3,7 % du total mondial, soit l’équivalent des GES émis par l’aviation mondiale ou un pays comme la Russie. La vidéo en ligne, du simple divertissement à la publicité, représente 80 % du trafic interne, avec plus de 300 millions de tonnes (MiT) de GES par an, ce qui représente à elle seule 1 % des émissions mondiales de GES. Les Netflix de ce monde et les sites porno en sont les plus grands émetteurs, avec respectivement 34 % (100 MiT) et 27 % (80 MiT) des émissions de GES de la vidéo en ligne. Au total, un internaute moyen est responsable de la moitié des GES émis par Internet ; l’autre moitié de la pollution provient des entreprises qui possèdent les réseaux et des centres de données.

 

Que faire ?

Il ne fait aucun doute que le numérique procure de nombreux avantages pratiques, ce qui lui confère un rôle de service public. Cependant, force est constater que ce secteur échappe totalement au contrôle public, car la pression de l’offre des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) et les attentes de profits associées à la numérisation semblent être les seuls juges des projets numériques actuels.

Alors que la domotique (objets et ressources connectés d’une habitation) est sur le point de faire son entrée triomphale dans les habitations et que Google, Amazon et Apple viennent de s’associer dans le but de créer leur norme de la maison connectée, ne devrait-on pas confier le contrôle de l’infrastructure numérique à des autorités publiques, comme c’est le cas dans les infrastructures du transport, de l’énergie et des services publics ? À tout le moins, ne devrait-on pas imposer une taxe carbone sur le chiffre d’affaires des géants du numérique pour contrebalancer les répercussions de leur industrie sur le climat. Il en va non seulement de l’intérêt public, mais aussi de la lutte contre les changements climatiques.

[1]Tristan Gaudiaut, Empreinte environnementale. Le numérique mondial émet 4 fois plus de CO2 que la France, 23 oct. 2019, https://fr.statista.com/infographie/19739/empreinte-carbone-internet-et-univers-numerique-mondial-emission-de-co2/