Du slam pour faire rayonner notre langue

Amina Chaffai, Le Stéphanois, Saint-Étienne-des-Grès, novembre 2019

« Ce  n’est  pas  parce  qu’on  est  petit  qu’on  ne  peut  pas  être  grand ». C’est le titre de la version française d’un magnifique film de Vojtech Jasny. Chaque fois qu’il arrive quelque chose de beau, de bon chez nous, j’y pense et je souris. Ce fut le cas il y a quelques semaines lorsque l’association Québec-France Mauricie – Centre-du-Québec était de passage à st-Étienne-des-grès.  Cette  organisation  dont  la  mission  est  de  favoriser  le  développement de la relation d’amitié et de coopération privilégiée entre le Québec et la France a eu la bonne idée d’organiser une soirée de slam au Café du marché. Le slam est une forme moderne de poésie qui allie écriture, oralité et expression scénique. Les slameurs se concentrent à la fois sur ce qu’ils disent et comment ils le disent. C’est différent du rap qui se caractérise par sa diction très rythmée et en rimes; le plus souvent une succession de couplets séparés par des refrains. Les deux techniques sont souvent confondues.

Lorsque  l’invitation  fut  lancée  à  tous,  sans  contraintes  et  sans  cérémonie, cela m’a tout de suite intéressée.  Étant d’origine arabe, je reconnais ce type de performance qui existe dans la civilisation moyen-orientale depuis l’antiquité. Les peuples nomades et bédouins, conteurs naturels, passaient les longues soirées à échanger en prose, en poésie et en vers. Pour les plus audacieux, puisqu’il y avait part théâtrale, c’était une forme de slam le moyen de performance.

D’emblée, je vous avise que j’ai librement choisi de vous partager l’ambiance plutôt que le récit des faits de cette activité. Ce fameux jeudi soir, je suis arrivée tôt, dans une salle presque déserte, je me demandais si ce ne n’était pas déjà raté. Et, puis, les gens se sont mis à arriver, à la dernière minute, pour la plupart. la salle se remplit d’un coup. Et quelle salle mes amis!

D’abord des jeunes, arborant leurs différences, leurs couleurs et leur originalité avec beaucoup d’assurance. Que de belles personnalités! Des  plus  expérimentés  arrivèrent  aussi.  Moins  colorés,  tout  aussi  élégants, l’allure grands poètes, plus nerveux. On ne sentait toutefois aucune compétition, que de la fébrilité et de la complicité entre tous.  Vous  vous  doutez  que  plusieurs  se  connaissaient  puisqu’ils  fréquentent les mêmes lieux de culture et de créativité.

L’animateur, le très impliqué Roger Kemp, a donné sens à la soirée en débutant par une lecture qui nous a tous mis dans l’atmosphère; la  glace  était  cassée.  Sa  passion  pour  le  slam  revêt  l’allure  d’un  pèlerinage, a-t-il dit. Il a pour seul but de faire aimer l’écriture en français. N’est-ce pas une jolie façon de faire rayonner notre belle langue  et  de  découvrir  sa  richesse,  sa  légèreté,  sa  souplesse,  sa  malléabilité et sa grande beauté. Par la suite se succédèrent plusieurs slameurs, au grand plaisir d’un public conquis. Ulysse Gagnon-Plouffe, souriant et regard charmeur s’est exécuté avec profondeur. Affranchi des conventions, il portait un chandail-œuvre d’art qu’il s’est bricolé avec des cordons nattés de couleurs, rappelant ainsi le style artistique distinctif de sa douce, Érica Lebrun, artiste confirmée de notre région. Godefroy Gagnon, un grand barbu au regard allumé dont le texte très intelligent était interpellant et touchant. Jean-François Veilleux (que je prenais pour un photographe-caméraman) se lança spontanément dans une lecture d’une telle sensualité que les passages les plus explicites n’étaient qu’attendrissement.  Yves  Perron  a  écrit  un  slam  pour  l’occasion,  il  l’a  clamé  avec  émotion  et  beaucoup  d’humilité.  Candidat  aux  élections  fédérales,  il  a  pris  le  temps  de  venir  partager  avec  une  petite communauté son amour pour notre langue; c’est tout à son honneur.  Nicolas  Gauthier,  arborant  sa  légendaire  bonne  humeur,  notre conseiller municipal a présenté une composition philosophique et politique. N’étonnant personne, sa généreuse prestation était la plus  longue  de  la  soirée.  François  Bournival,  leader  du  duo  les  slameurs  slomeau,  il  a  fait  sourire  avec  une  interprétation  d’une  œuvre personnelle humoristique sur le choc des générations face à l’environnement. le courage de ce duo de se produire devant cette salle  de  champions  tenait  plus  de  l’inconscience  que  de  l’audace  (je peux en parler, j’en étais). mon  coup  de  cœur  de  la  soirée  est  cette  dame  flamboyante,  une tornade du nom de Tamara Koziej. Elle arrivait du lac-st-Jean et se dirigeait vers Saint-Hyacinthe, ou l’inverse. Elle a fait escale chez nous pour revoir des amis et nous partager ses écrits des derniers mois. Lorsqu’elle entama d’une voix puissante et une énergie herculéenne, son ode au pays, on aurait dit une louve rassemblant sa meute pour la gloire de la terre, de la poésie et de la langue.

L’Amour et la Terre étaient les sujets à l’honneur et le plus souvent exploités par les participants. À mes yeux, plus que l’activité elle-même, ce sont plutôt les rencontres, les émotions et les mots, parfois très singuliers, qui valaient le détour. J’ai passé une soirée inoubliable et  je  relaie  l’invitation  de  Roger  Kemp  :  amoureux  de  la  langue  française, slamez! C’est permis, c’est joli et c’est rassembleur.