Mathieu Thériault, camelot Bernard/De l’Épée, L’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2019
Jusqu’au 1er septembre, l’Écomusée du fier monde présente une superbe exposition rétrospective de l’oeuvre de Zïlon. Connu surtout pour ses graffitis, Zïlon est aussi un peintre, un dessinateur, un designer de mode, voire un artisan du jeu vidéo, mais c’est surtout un créateur inclassable, iconoclaste et un authentique punk ! C’est en (re)voyant ses œuvres rassemblées sous une même enseigne qu’on constate que c’est un artiste majeur de la métropole, dont tout Montréalais de plus de 30 ans connaît le travail au moins en partie sans forcément savoir que c’est de lui. En marge de cette expo-hommage, L’Itinéraire l’a rencontré.
Faire une entrevue avec Zïlon, ce n’est pas banal. Il a assurément quelque chose à dire et son message est pertinent, mais il n’entre pas dans la catégorie « questions-réponses» et « tenons-nous-en au script ». Après avoir passé plus de 30 minutes à ne pas répondre à notre première question, nous nous sommes vite rendu compte que nous n’étions pas en présence d’un personnage qui correspond aux moules de la société. Entre quelques sacres bien sentis et des tirades sur une société où le paraître et le superficiel triomphent de plus en plus, il nous a surtout parlé de ce qui anime son art depuis toujours.
Zïlon a commencé à se faire remarquer à la fin des années 1970, par des visages très stylisés qu’il faisait en graffiti dans différents lieux publics. « Souvent vers 2 h du matin, avec des aérosols de fortune volés chez Canadian Tire, quand les flics prenaient leur pause Dunkin’ Donuts », confie-t-il. Au fil du temps, il a aussi fait de la bande dessinée avec Anik Jean, des story-boards pour le premier film de Robert Lepage, des affiches pour le cinéma ou le théâtre, d’énormes fresques en direct, sur différents commerces, sur des meubles, des murs ou sur des articles de mode. Il est un artisan majeur de ce que l’on appelle le street art, un mouvement artistique où les œuvres sont réalisées dans la rue ou dans des lieux publics. Cela implique que personne ne sera jamais propriétaire de l’œuvre en question et que sa pérennité est totalement aléatoire.
La contre-culture et les « Foufs »
Zïlon fait aussi partie de cette première génération d’artistes qui accomplissaient les performances en direct et qui ont fait la renommée des Foufounes Électriques, lors des premières années du bar mythique de la contre-culture montréalaise. Des dizaines de personnes se rassemblaient alors pour des prestations où se mêlaient – souvent de façon un peu chaotique – musique, danse, ballet, peinture et « joyeux bordel » en tous genres.
Parmi ses réalisations éphémères, Zïlon a réalisé en 2009 une œuvre dans la vitrine du prestigieux magasin Ogilvy au centre-ville. Dans le cadre du Festival MURAL en 2014, il a créé une œuvre monumentale sur la devanture du « dépanneur ouvert 24H » au coin des rues Marie-Anne et Saint-Dominique. Des projets dont il est particulièrement fier puisqu’ils donnent accès à l’art à un public qui autrement ne fréquenterait jamais les galeries ou les musées. Dans toute sa démarche, le do-it-yourself si cher à la culture punk et la démocratisation de l’art ont toujours été au cœur de ses préoccupations. D’ailleurs, même s’il a été reconnu, exposé et apprécié dans des villes telles que Londres, New York, Paris ou Tokyo, il se désole qu’aucun musée majeur québécois n’ait encore fait l’acquisition de ses œuvres. « Le Musée des beaux-arts ou le Musée d’art contemporain, ils en ont combien de mes œuvres ? », demande-t-il pour la forme à son gérant qui l’accompagne pour l’entrevue.
Pourtant, Zïlon a collaboré avec de nombreux artistes de renom tels que Wajdi Mouawad, Robert Lepage, Gilles Carle, Jacques Languirand ou Claude Péloquin. Plus récemment, il a travaillé sur les décors du jeu vidéo Far Cry de la compagnie montréalaise Ubisoft, lui permettant ainsi de rejoindre des millions de gamers à travers le monde. Dans le café où il rage contre la machine espresso qui fait un boucan d’enfer, il affirme ne pas avoir de projets dans l’immédiat et peste contre d’autres artistes venus de l’underground comme lui qui sont maintenant soutenus par des cliques, des riches et des puissants. « Moi je me verrais bien faire des films d’horreur, mais tu sais, vraiment de l’horreur, quelque chose de très sanglant ! » déclare-t-il. C’est clair, Zïlon n’est pas un typequi fitte dans une case ou dans un moule.
Graffitis, musique et résilience
La musique a toujours habité l’univers mental de Zïlon. Lors de notre entretien, c’est la chanson Pretty Vacant des Sex Pistols qui semblait l’animer. Pièce qui, pour lui, est une belle illustration de ce que notre époque nous réserve de superficiel, de platitudes et d’insanités. « Sur Instagram ou Facebook, on entend tout le monde parler de leur nouvel achat, qu’ils sont végétariens ou du muffin qu’ils aiment manger le matin. Mais c’est quand la dernière fois que tu as entendu quelqu’un parler des gens qu’il aime, des personnes qui comptent, de ce qui a vraiment de l’importance ? Moi, je n’entends pas ça beaucoup ».
L’artiste Zïlon n’a jamais caché qu’il venait d’un milieu difficile. Son père surtout, un alcoolique violent, a tout fait pour le brimer dans sa vocation d’artiste et l’empêcher de s’accomplir et d’exprimer son talent. On sent aujourd’hui que cette blessure est toujours vive.
À 63 ans, Raymond Pilon, de son vrai nom, doit maintenant composer avec le deuil. Dans les derniers mois, il a dû affronter le décès de sa mère, mais aussi celui de son chat, fidèle compagnon depuis 14 ans. Bien entendu, celui de sa mère l’a affecté en premier chef, surtout que celle-ci est décédée alors qu’il se produisait en direct au Musée des beaux-arts, pour une toile qui ironiquement lui rendait hommage. Du coup, Zïlon et son gérant ont tenu à souligner que l’exposition rétrospective à l’Écomusée du fier monde est dédiée à la mémoire de la défunte.
Les œuvres de Zïlon, en général, sont très chargées graphiquement. À l’origine, ses graffitis étaient beaucoup plus épurés et il n’est pas sorcier de comprendre pourquoi. À la faveur de la nuit, dans l’illégalité et l’anonymat, en espérant que les flics étirent encore un peu leur pause-café, il tombe sous le sens qu’on préfère une œuvre qui sera marquante, mais réalisable en quelques traits et coups d’aérosols. Sauf que les aléas de l’anonymat et de la création dans l’urgence sont loin d’être les seules raisons de ce style qui lui est propre. En fait, plus jeune, il s’est cassé la main droite lors d’un accident, le privant ainsi de son « instrument » de prédilection. Craignant que sa dextérité ne revienne pas, il s’est mis à dessiner de la main gauche. Son visage-signature qui a fait sa marque est né de cet épisode ; un visage qu’on pouvait faire rapidement, en quelques traits, et qui le suit toujours. « À chaque Nouvel An, j’en fais au moins un.
Parfois je demande la permission, parfois je la prends », dit-il.
Un style bien à lui
Quand il a la chance de peindre ou de dessiner dans un endroit ou un moment qui lui laisse le temps de déployer tout son talent, il crée surtout des visages, des personnages, dans un style industriel-punk-gothique- futuriste qui lui est propre. Ses œuvres, époustouflantes, sont effectivement très chargées. Et sa tête semble l’être tout autant. Tout au long de l’entrevue, il passe du coq à l’âne, d’un sujet à l’autre dans un parcours qui lui semble bien particulier. Une seconde, il en a contre les « coquerelles et sauterelles » qui viennent faire des tags vulgaires sur ses oeuvres sans aucune forme de respect, l’autre il amorce un top dix de ses oeuvres les plus marquantes qui ne se rendra finalement pas plus loin que deux. Pas que les huit autres n’existent pas, mais un flash ou une idée le fait rapidement changer de sujet. « Moi, j’aurais dû crever dans les années 1990 ! Les années 1970, 1980 et 1990, c’était vraiment là le top de la contre-culture ! Le blast !
Aujourd’hui 1984, ce n’est même plus la police, c’est nous tous en train de prendre des photos de tout le monde avec un cellulaire. Pas facile de nos jours de faire du graffiti ». Zïlon, en plus d’être l’un des pionniers des Foufounes Électriques dans les années où ce bar avait vraiment quelque chose d’alternatif et de subversif, a assisté à la naissance du Village gai, un lieu de liberté et d’acceptation qui lui a été bénéfique pour son émancipation et sa créativité.
En définitive, il faut absolument voir l’exposition Zïlon et le Montréal underground. Si vous ne connaissez pas déjà l’Écomusée du fier monde (un ancien bain public du « Faubourg à m’lasse »), c’est une bonne occasion pour découvrir cet endroit et, du même coup, les créations les plus célèbres de Zïlon. Peut-être constaterez-vous comme moi que son œuvre, bien que créé pour l’essentiel dans l’anonymat, vous est finalement bien plus familier que vous ne le pensiez.