Nelson Fecteau, Le Cantonnier, Disraeli, le 28 mars 2019
Lorsque, le 14 février 1949 à midi et une minute exactement, des milliers de travailleurs de l’amiante de Thetford Mines et d’Asbestos déclenchèrent un arrêt de travail qui allait durer quatre mois et demi, ils étaient loin de se douter de l’impact qu’aurait cette grève sur l’avenir du Québec. Ils visaient d’abord l’amélioration de leurs conditions de travail et une augmentation salariale horaire de 0,15 $. La mobilisation sociale et syndicale qui s’ensuivit fut marquante pour le Québec.
Pas moins de 5000 mineurs descendirent dans la rue : 3000 à Thetford Mines et 2000 à Asbestos. Peu habitué à voir son autorité contestée, le premier ministre Maurice Duplessis, avec l’appui de son gouvernement, déclara la grève illégale dès le 15 février et la Commission des relations ouvrières révoqua le certificat d’accréditation des syndicats le 22 février.
Les semaines qui suivirent furent marquées par de nombreuses manifestations ponctuées de violence, particulièrement à Asbestos, où la présence de briseurs de grève et l’intervention de la Police provinciale (la SQ de l’époque) contribuèrent à aggraver la situation.
Les mineurs découvrirent alors la force de la solidarité, solidarité syndicale et solidarité populaire. Les appuis fusèrent de partout. Envois de vivres en provenance de nombreuses régions du Québec et aides financières syndicales importantes vinrent soulager la misère des familles.
Un appui inespéré vint d’une partie du clergé. L’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, prit parti pour les travailleurs. Les curés de paroisse furent invités à remettre la quête du dimanche aux archevêchés qui la firent suivre aux travailleurs.
Les Gérard Pelletier, Pierre-Elliott Trudeau, Jean Marchand et Gérard Picard s’impliquèrent activement en faveur des grévistes. L’avocat Jean Drapeau, futur maire de Montréal, défendit des grévistes. Mgr Charbonneau fut exilé en Colombie-Britannique par les hautes instances du Vatican en raison de son implication et, plus près des Thetfordois, l’aumônier des mouvements syndicaux, l’abbé Henri Masson, se vit retirer sa charge d’enseignement à l’École des arts et métiers.
Ces événements marquèrent sans doute le premier jalon de la séparation de l’Église et de l’État québécois qui, à cette époque, marchaient la main dans la main. Ce n’est pas non plus une coïncidence si, une décennie plus tard, on assista à la naissance de ce que l’on désigna sous le nom de Révolution tranquille.
Ce sont ces mêmes mineurs qui sont à l’origine du développement économique de notre région, et même d’une partie de l’économie canadienne et québécoise pendant pas moins d’un siècle. Ils méritent notre reconnaissance, une reconnaissance qui peut se traduire par la conservation et la mise en valeur de notre patrimoine minier qui, bientôt, demeurera le seul témoin « oculaire » de cette période où travailler était un exploit en soi dont on pouvait tirer une fierté certaine. […]
L’histoire ouvrière nous parle de milliers de travailleurs et travailleuses à travers leurs conditions de travail et leurs luttes syndicales et politiques. L’histoire de ces gens nous renseigne non seulement sur l’ensemble des changements ayant contribué à l’édification de notre société moderne, mais également sur la capacité d’adaptation et de réaction de l’homme face à la machine et aux lois du marché. La longue grève de l’amiante de 1949 est le premier conflit de travail au Québec qui réussit à interpeller toutes les couches de la société. Certains vont même jusqu’à y voir le début de la Révolution tranquille. Nous avons collectivement un devoir de mémoire à leur endroit.