Le conteur Pierre Labrèche et la conteuse Marta Saenz de la Calzada Photo : Samuel de Chavigny

Le territoire raconté par Pierre Labrèche et Marta Saenz de la Calzada

Mariane Ménard, L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue, avril 2019

L’idée d’un jumelage entre des conteurs allochtones et autochtones est celle de Nicole Garceau, présidente du Festival de contes et légendes en Abitibi-Témiscamingue. Le conteur Pierre Labrèche et la conteuse Marta Saenz de la Calzada ont ainsi pu profiter d’une résidence d’écriture au cours de laquelle des rencontres avec leurs mentors respectifs, Pesemapeo Bordeleau et Robert Seven Crows Bourbon, se sont enchaînées. Les contes élaborés dans ce cadre ont été présentés au public de Rouyn-Noranda le 14 mars dernier à L’Agora des Arts.

 

Des histoires du territoire

L’idée de Sur les rives de la Wabakin est née des échanges entre Marta Saenz de la Calzada et son mentor Robert Seven Crows Bourbon, et de leurs expériences respectives. D’origine espagnole et installée en Abitibi depuis de nombreuses années, Marta Saenz de la Calzada connaît bien la migration. « J’ai pensé m’inspirer de mon parcours. Quand j’ai parlé avec Robert, il m’a parlé d’informations qu’il avait récoltées sur les premiers colons [en Abitibi]. » Dans l’inclément territoire abitibien du début de la colonisation, l’aide des Anicinabek s’est avérée précieuse pour bien des colons. « Les Autochtones avaient pitié des cultivateurs, qui ne savaient pas pêcher, et ils les ont beaucoup aidés, ils les ont nourris. Cette histoire a été oubliée. »

Pierre Labrèche vit à La Motte, en face du lac du même nom. À La Motte comme dans bien des lieux que nous habitons, la colonisation s’est affirmée non seulement dans l’occupation du territoire, mais aussi dans la manière de le nommer. « Je suis parti de la question, “comment s’appelait le lac avant que nous, les Blancs, on arrive?” Ç’a été comme une quête. La façon dont je me suis fait raconter le lac a modifié ma perception de ce territoire », confie Pierre Labrèche. Okikeska fait vivre cette quête et raconte que derrière un nom se cache une histoire.

 

La collaboration, au-delà du processus

L’échange et le partage sont à la base du jumelage dont les contes Sur les rives de la Wabakin et Okikeska sont le résultat. De la rencontre entre le mentor et le mentoré ont émergé des discussions, des réflexions sur la manière d’occuper le territoire, des connaissances et d’autres rencontres. Celles-ci font aussi partie de l’histoire de ces contes et de l’expérience du conteur et de la conteuse. « J’ai écrit beaucoup, j’ai lu beaucoup, raconte Marta Saenz de la Calzada. Et dans la même démarche, je suis aussi allée à Pikogan, où j’ai rencontré des femmes, j’ai assisté à des ateliers sur la spiritualité. »

L’apport du regard croisé sur l’œuvre en création s’est révélé immense pour Pierre Labrèche. « C’est ce qui permet à l’histoire de s’enrichir en subtilité, en réflexion et en humanité. Cela nourrit le questionnement et permet d’avancer en suivant certaines balises. » Et cela s’avère tout aussi important pour l’artiste et pour l’humain. « Arriver avec un produit en processus demande beaucoup d’humilité. Le regard des Autochtones est différent [de celui des allochtones] et cette découverte m’a beaucoup enrichi », ajoute Pierre Labrèche, pour qui le jumelage a été le lieu d’une rencontre non seulement artistique, mais aussi culturelle, au sens large du terme. « On vit avec les Anicinabek sans se connaître, on se côtoie peu et c’est dommage. J’ai rencontré des gens qui ont été des collaborateurs dans l’évolution de l’histoire et avec qui je me dis qu’on a des richesses à partager de part et d’autre. »

Sur les rives de la Wabikin et Okikeska seront racontés de nouveau le 18 avril prochain au Vieux-Palais d’Amos.