Marjolaine Beauchamp ne cesse de s’imposer comme l’une des plumes les plus lucides et les plus mordantes de sa génération. Photo: Ludovic Potvin-Gingras

Stand-up tragique d’une écrivaine en résistance

Luc Drapeau, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, mars 2019

En se dotant d’un thème tel que Soif de savoir pour le 31e Salon du livre de Trois-Rivières, les organisateurs ne risquaient pas de se tromper tant il est évident qu’on ne pourra reprocher à la grande famille des lettres de questionner son époque. Cependant, en cette ère que nous traversons, parsemée d’informations fast-food à la sauce fake news, il nous apparaît sain d’interroger le décorum, la complaisance et les distorsions cognitives qui donnent parfois un léger goût d’ersatz à cette soif de savoir.

« C’est en observant les gens vivre qu’on a accès à leur vérité, nous confie Marjolaine Beauchamp. Il faut s’imprégner de l’expérience humaine. Ce n’est pas nécessairement ceux qui prennent le plus de place qui racontent les choses les plus véridiques », constate Mme Beauchamp, écrivaine en résidence de cette 31e édition.

 

Écrivaine en résistance

Succédant à Biz pour l’édition de cette année, Marjolaine Beauchamp n’hésite pas depuis une dizaine d’années, par l’entremise de ses écrits poétiques et théâtraux, à aller là où ça fait mal, là où la fierté des personnes, familles et communautés en prend un coup afin de décaper le vernis qui gomme la réalité de ceux dont on parle trop peu. « Je suis révoltée contre ceux qui ont du pouvoir et qui l’utilisent à mauvais escient, affirme la slameuse dont l’indignation concède une légère avance à l’empathie. C’est facile pour moi de me mettre à la place des gens parce que je les aime profondément. »

 

Une écriture de l’urgence

Impliquée dans son milieu, allergique aux faux-semblants et aux exercices de style ampoulés, Marjolaine se décrit comme une écrivaine d’instinct animée par l’urgence et l’immédiat. Sa démarche d’écriture lui permet d’aborder des zones inconfortables et des sujets impopulaires.  Que ce soit en mettant en scène la détresse et la solitude des mères dans la pièce M.I.L.F. publiée aux Éditions Somme toute ou en réfléchissant sur le tissu social qui s’effrite, le verbe brut de Marjolaine atteint sa cible et ouvre le dialogue avec le public.

« J’répondais pus au téléphone, y avait le monde dehors, mon monde en d’dans, pis les deux étaient pas mélangeables », M.I.L.F, Éditions Somme toute

 

Stand-up tragique (Se lever devant le tragique)

À l’ombre des shows télés à l’heure de grande écoute, une volonté de dire avant de divertir semble prendre forme pour nommer un malaise pluriel. Les scènes marginales se multiplient et les genres littéraires osent embrasser l’époque où nous vivons. Poèmes sur Instagram, zine, vidéo poésie, hybridité des contenus, pour ne nommer que ces formes nouvelles, annoncent une effervescence qu’on n’attendait pas, selon Marjolaine Beauchamp. « La survie de n’importe quel élément culturel dépend de la génération qui suit. Les plus jeunes se décomplexent, shakent la poussière et c’est ce qui va garantir justement une génération qui réfléchit et qui prend parole », conclut la poète, mordante au grand cœur.

« Même dans les unités néonatales/Même dans les funérailles/Il faut avoir peur avec du style », Fourrer le feu, Éditions de l’écrou

À l’instar de Nietzsche, qui disait que « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille », nous ne pouvons que continuer à encourager la démarche de cette écrivaine qui sait si bien s’acquitter de ce rôle.