Mira Thompson, Vues sur la Bourgogne, Montréal, hiver 2019
Depuis le mois d’octobre, un des visages le plus connu et aimé de la Petite-Bourgogne est de retour dans le voisinage. C’est une Daisy Peterson Sweeney souriante devant son piano qui apparait sur la nouvelle murale, réalisée par Kevin Ledo, au coin des rues St-Jacques et St-Martin, à un coin de rue de l’endroit où son légendaire frère, Oscar Peterson, est lui-même immortalisé dans une autre murale.
« J’aime la murale parce qu’elle révèle sa nature », raconte sa fille Judith Sweeney. « C’est quelqu’un que l’on veut apprendre à connaître. Elle était pleine de bonté et de compassion. »
Plusieurs personnes ayant grandi dans la Petite-Bourgogne seraient d’accord. Mme Sweeney était une légende dans son quartier, avec un héritage distinct de celui de son célèbre frère. Née en 1920, Mme Sweeney faisait partie d’une fratrie de cinq enfants. Leur père travaillait comme porteur pour le Chemin de fer Canadien Pacifique et insistait pour que chaque enfant apprenne à jouer d’un instrument de musique. Rapidement,
Mme Sweeney s’est mise à enseigner le piano à son jeune frère Oscar. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a travaillé comme femme de ménage et riveteuse dans une manufacture d’avion et c’est avec les économies réalisées grâce à son salaire de cinq dollars par semaine qu’elle a pu financer ses études à l’école de musique de McGill.
Pendant ce temps, dans la Petite-Bourgogne, Mme Sweeney s’était déjà fait un nom en tant que professeur de musique et enseignait le piano aux enfants du quartier. Les vedettes du jazz Oscar Peterson et Oliver Jones ont tous les deux appris d’elle avant de connaître un succès mondial. Ironiquement,
Mme Sweeney elle-même a toujours préféré enseigner et être musicienne d’accompagnement — malgré ses liens privilégiés dans le milieu du jazz, elle était toujours plus à l’aise à l’écart des projecteurs.
Au fil des ans, Mme Sweeney a enseigné à des générations de jeunes du quartier, notamment au Negro Community Center. « Elle était rigoureuse, mais tout le monde savait qu’elle était juste. Elle était bonne pour rehausser l’estime de soi des gens et les aider avec leurs doutes », mentionne sa fille Judith.
Aider les autres à bâtir leur confiance en soi était au cœur de la personnalité de Mme Sweeney. Judith se souvient que sa mère amenait ses jeunes élèves en musique à l’école de musique de l’Université McGill pour les aider à ne pas être intimidés d’aller y étudier un jour. Lorsqu’elle enseignait à de grands groupes d’élèves, Mme Sweeney prenait toujours le temps à la fin des cours pour discuter avec eux en mangeant des biscuits et en buvant un verre de jus.
« Les jeunes attendaient ce moment avec impatience et ça leur donnait confiance. L’atmosphère était détendue. » Trouver des façons d’unir les jeunes de la Petite-Bourgogne par la musique était, à bien des égards, le reflet du désir de Daisy Sweeney de faire du bien à sa communauté, en particulier pour les jeunes.
« Elle ne voulait voir aucun enfant à risque. Si elle pouvait faire quelque chose [pour aider], elle le faisait. » C’est Mme Sweeney qui a eu l’idée de créer une chorale pour les jeunes dans la Petite-Bourgogne. En 1974, elle et Trevor Payne ont cofondé le Black Community Youth Choir, connu depuis 1982 sous le nom de Montreal Jubilation Gospel Choir. Daisy Sweeney a continué à jouer du piano jusqu’aux dernières années de sa vie, ne s’arrêtant que lorsque sa santé a commencé à se dégrader. Elle est décédée en août 2017. Selon Judith, l’héritage de sa mère est celui de la bienveillance. « Elle aimait aider les gens. Ce qu’elle a donné aux autres, ça revient. »
Des discussions sont en cours avec la Ville sur une façon de commémorer sa vie en renommant un parc ou une rue en son honneur.