Photo : Camille Tremblay-Antoine

La revanche du papier

Camille Tremblay-Antoine, La Quête, Québec, décembre 2018

Le numérique est maintenant présent dans tous les secteurs d’activités. Pourtant, dans le secteur culturel, les livres papier représentent encore 95 % des ventes en librairie, selon l’Observatoire de la culture et des communications. Pourquoi cet attachement au support traditionnel perdure-t-il alors que le numérique est synonyme d’accessibilité instantanée, d’écologie et d’économie? Pour répondre à cette question, *La Quête* est allé à la rencontre de trois grands acteurs dans le monde du livre au Québec.

 

Les Éditions Alto : le roman en tant qu’objet

Au Québec, les éditeurs sont peu nombreux et leurs moyens sont restreints. Malgré leur budget serré, les Éditions Alto ont fait le choix d’investir copieusement dans l’esthétique des romans.

« Le format et l’apparence du livre, c’est la première publicité d’un ouvrage », explique Tania Massault, éditrice adjointe à la maison d’édition. Les concepteurs travaillent l’écrin, les rabats, le vernis et l’estampage des ouvrages afin de créer des objets uniques et attirants. Les couleurs, les formes, les textures et les formats sont pensés pour former un tout cohérent avec le contenu littéraire. Parfois même, les rebords d’ouvrages neufs sont faussement déchirés et jaunis pour induire un effet vieillot.

L’objectif : accrocher, intriguer les lecteurs dès le premier regard. Selon Mme Massault, si le lecteur n’est pas attiré par l’objet qu’est le livre, l’ouvrage a moins de chance d’être vendu.

L’éditrice adjointe donne l’exemple des ouvrages volumineux : « Les gros livres qui pourraient faire peur par leur format, on prend tous les moyens pour développer des visuels accrocheurs. En créant des livres réellement beaux, on leur donne une chance. »

C’est pour cette raison que la maison d’édition de Québec croit que le numérique n’est pas près de supplanter le livre papier. « Il y a un attachement, un amour pour le livre objet. Et on prend tous les moyens pour que le livre en lui-même séduise les lecteurs », soutient Tania Massault.

 

Les libraires du Québec : le sentiment par rapport au livre

Le roman papier n’est pas seulement pour les nostalgiques. Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec, voit un attachement sentimental entre les lecteurs et les ouvrages : « L’odeur, le fait de tourner les pages. Le livre est synonyme d’un moment qu’on s’accorde. »

Selon la directrice, la relation avec les livres numériques est différente. Puisque la lecture se fait devant l’écran, une association au fait de travailler pourrait en décourager certains.

Les librairies ont enregistré des ventes plutôt stables dans les dernières années. Elles ont diversifié leur offre afin de permettre aux acheteurs de se procurer des ouvrages autant en format papier que numérique. Les livres papier représentent toujours la très grande majorité des ventes.

Mme Fafard explique que les lecteurs sont moins prêts à dépenser pour des ouvrages numériques « ce qui pourrait expliquer le succès encore aujourd’hui du livre papier ». Par contre, la location de livres numériques est en augmentation. À la tête des romans numériques les plus loués figurent les livres érotiques, ce que Katherine Fafard explique par le fait que « les gens sont moins gênés de louer en ligne ».

 

Imprimeurs Marquis : l’instantanéité même avec le livre papier

Le plus grand imprimeur de livres au Canada s’est tourné vers l’offre d’impression de livres à l’unité ou en petites quantités afin d’accommoder libraires et lecteurs. Depuis 2014, les Imprimeurs Marquis produisent de manière active des impressions dites à la demande.

Pour répondre aux demandes en livres papier, l’entreprise peut maintenant imprimer et livrer en cinq jours des ouvrages en petites quantités. Ce type de demandes est en augmentation depuis quelques années puisqu’elles permettent aux lecteurs d’obtenir rapidement une copie des ouvrages imprimés localement et aux librairies de ne pas accumuler de surplus.

Ian Larouche, vice-président au marketing des Imprimeurs Marquis, explique qu’avec les anciennes techniques d’imprimerie, le coût était moins élevé pour chaque copie lorsque l’impression se faisait de manière simultanée pour un grand nombre d’ouvrages. Cette manière de fonctionner entraînait des difficultés. « Environ 20 % des livres étaient pilonnés parce qu’il y avait eu trop d’impressions par rapport aux ventes et beaucoup de livres disponibles au Québec étaient, en fait, imprimés en Europe et livrés par bateau, ce qui est beaucoup moins écologique » explique M. Larouche.

Le développement des techniques d’impression a permis de réduire le coût de production pour chaque copie. Les imprimeurs peuvent alors offrir un tirage des livres papier qui est arrimé avec la vitesse des ventes en librairies.

Le vice-président au marketing explique que « certains lecteurs ne passeront jamais au numérique ; ils aiment le livre papier. » Néanmoins, l’entreprise canadienne s’adapte au marché d’aujourd’hui. Elle travaille à rendre ses livres les plus accessibles possible en offrant des prix concurrentiels.