Poires aux formes callipyges. Photo : Lyne Boulet

Des poires m’ont dit…

Lyne Boulet, Le Sentier, Saint-Hippolyte, octobre 2018

L’exposition Entre poire et pulsion, de l’artiste peintre Jean-Claude Latour1, sera présentée jusqu’au 13 novembre dans la salle multifonctionnelle de la bibliothèque. Une invitation à laisser vagabonder votre imagination!

C’est du moins ce que je me suis autorisée à faire. Parce que je n’étais pas présente au vernissage. Parce que je ne me suis pas entretenue avec l’artiste. Parce que ses peintures ne portent pas de titres qui m’auraient conduite dans une certaine direction. J’ai pu m’abandonner sans remords à la perception subjective!

 

État intermédiaire

Les poires occupent une place centrale dans cette exposition. Plusieurs toiles les représentent. On les voit en groupe, en trio, en duo. La majorité d’entre elles semblent être dans un état intermédiaire. Elles sont. Elles existent et ça leur suffit. Elles habitent l’espace de leur présence massive. Des bases arrondies aux formes callipyges leur fournissent une assisse solide. Elles pourraient être pierres, comme des menhirs dressés. De couleur douce sur fond argenté, elles ne sont pas menaçantes. Leur présence est plutôt rassurante, porteuse de zénitude. Elles dégagent un bien-être paisible. C’est l’heure de l’introspection… Leurs courbes rondeurs permettent les rapprochements. Certaines s’appuient, se soutiennent, se lovent les unes aux autres. Même lorsqu’elles ne sont pas en contact physique, elles sont unies. Je les sens solidaires.

Puis, il y a cette toile sur laquelle deux poires semblent avoir été capturées par des filets de lignes colorées. Enlevées à leur no man’s land, isolées de leur groupe, elles ont perdu leur poids de sérénité. Ensuite la poire devient objet d’étude, soumise à l’arbitraire humain : poire bleue, rouge ou jaune, sur fond jaune ou bleu. Habillée de couleur ludique, dépouillée de son caractère intemporel. Elle est devenue représentation, interprétation. Rien là de condamnable. Alors pourquoi ai-je eu le sentiment qu’elle venait de perdre sa substance ?

Il y a aussi la poire socle qui porte un panier de fruit. Je l’ai vu contrainte à faire plutôt qu’à être, déformée par l’effort, triste de son sort, si loin du bienheureux état de latence. Et si son seul désir avait été de poireauter à l’infini ?

 

Mouvements d’humeur

Les poires m’ont permis d’imaginer l’allégorie d’un monde de permanence hiératique. Les autres toiles de l’artiste m’ont ensuite conduite dans celui du rythme et du dynamisme. Tout d’abord, par la couleur. Sur fond de paysage grisâtre d’un lac peuplé d’îlots aux arbres chétifs, une barque amarrée resplendit de lumière, porteuse d’une promesse de mouvement et de vie.

Quelques toiles non figuratives réveillent ensuite l’émoi : une toile pointilliste vivement multicolore, d’amples remous dans de généreux dégradés de bleu et un impétueux éclaboussement en gris et blanc. Enfin, la vie palpite dans les deux toiles représentant des fleurs. Elles sont dans le mouvement vital, bien loin de l’immobilité préservatrice des poires. On les voit emmagasiner l’énergie du sol et la transmettre, par des tiges vigoureuses, aux fleurs épanouies qui éclatent dans la couleur.

 

Voyage

L’exposition Entre poire et pulsion m’a fait vivre un délicat voyage onirique. L’artiste Jean-Claude Latour m’a offert un espace de pure intériorisation avant de me ramener à l’effervescence de l’art vivant.