Photo de Eva Tanguay de la collection de la New York Public Library

Éva Tanguay, la «Vamp» de Broadway

Jacques Robert, Le Papotin, Dudswell, août 2018

Cent ans avant Céline Dion et Madonna, il y eut la grande Éva Tanguay. Dans le premier tiers du XXe siècle, elle attira des centaines de milliers d’admirateurs obsédés par ses chansons grivoises, ses costumes extravagants et sa liberté sexuelle.

L’historien Douglas Gilbert disait d’elle : « Il y avait plus de sexualité dans un seul de ses spectacles que l’on en aurait trouvé dans l’ensemble des bordels d’une ville minière. »

Son père, Joseph Octave, un médecin originaire de Saint- Hyacinthe, vint s’installer avec son épouse Adèle Pageau, à Marbleton, un petit village du canton de Dudswell. Dans le recensement de 1861, nous retrouvons le couple installé avec la famille de Gordon Bishop dans une maison de la rue Hall, aujourd’hui la rue des Érables.

Le 1er août 1878, dans la maison Ashby située au coin des rues Church et Principale Est, toujours à Marbleton, naissait de ce couple une belle petite fille nommée Hélène Éva Tanguay. En 1882, la jeune famille émigra à Holyoke au nord de Springfield, É.-U., où le père pratiqua comme médecin-physicien jusqu’à sa mort en 1886. Cette mort subite laissa la petite famille dans la misère totale, isolée et sans ressources. Les mois qui suivirent furent pénibles. Adèle faisait des ménages un peu partout afin de nourrir ses trois enfants à la maison.

Amante de la chanson et de la musique, la pauvre mère trouvait le temps d’initier ses petits à sa passion. C’est Éva qui fut la plus impressionnée par ces belles soirées passées à chanter et à danser. Pour passer le temps, la petite famille assistait régulièrement aux concours d’amateurs à la salle Parson’s de Holyoke. Éva rêvait de devenir une grande actrice. Un beau jour, elle décida de se présenter à l’un de ces concours.

C’est une petite fille de huit ans, tremblant de tous ses membres, qui se présenta à la salle municipale un soir de l’automne de 1886. Le responsable qui avait réuni les participants arriva devant Éva et éclata de rire. Le costume qu’elle portait était tout simplement grotesque. Il était fait entièrement d’un grand parapluie usagé. Un trou y avait été pratiqué par lequel elle s’était infiltrée. Le bas de la « chose » avait été arrangé avec des frisons pour lui donner l’aspect d’une robe de ballerine. Le reste du costume était fait de serviettes de table et de tissus usagés. « Chère enfant, voulez-vous bien me dire où vous avez trouvé votre costume? », demanda le sympathique directeur de théâtre. « Je l’ai fabriqué moi-même, répondit la petite. Nous sommes très pauvres. Je n’avais pas d’argent pour m’en acheter un. Chez nous, au grenier, j’ai trouvé tout ce qu’il me fallait. Je veux devenir une grande actrice et gagner beaucoup d’argent pour aider ma maman.» À la fin de la soirée, Éva quitta la salle avec, en poche, le premier prix du concours.

Un jour, en 1888, une compagnie de répertoire itinérante vint présenter une série de spectacles à Holyoke. Malheureusement, une des petites filles qui faisait partie de la troupe tomba malade. Comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, c’est Éva qui en profita. Elle fut choisie pour remplacer la jeune malade. Le directeur de la troupe fut tellement impressionné par la performance d’Éva qu’il décida qu’elle devait rester avec la troupe. Ce fut le début d’une extraordinaire carrière musicale et théâtrale.

Sans grande envergure, ces tournées lui permirent de se faire connaître des critiques artistiques. Selon eux, Éva n’avait pas une belle voix et elle avait tout à apprendre des rudiments de la scène. Malgré cela, elle possédait ce qu’il fallait pour devenir une star. Elle était jolie et avait un corps assez bien tourné qu’elle savait mettre en valeur. En avril 1896, son nom commença à résonner dans le monde artistique de New York. En 1898, à l’âge de 20 ans, elle était une artiste très en vue et très recherchée.

En 1904, elle était devenue une méga star admirée de tous à travers les États-Unis. Au sommet de sa carrière, son salaire passa de 500 à 3 500 dollars par semaine. Lors du krach de 1929, Éva perdit toute sa fortune, évaluée à environ deux millions de dollars. Elle dut vendre, pour une bouchée de pain, les 25 maisons qu’elle possédait. En même temps, sa santé se détériora rapidement. En 1927, elle commença à éprouver des problèmes de vision. En 1932, presque aveugle, elle performa pour la dernière fois dans un théâtre de Holyoke.

La petite fille de Marbleton fut imitée par une multitude d’actrices qui la suivirent. Elle est décédée à l’âge de 68 ans le 11 janvier 1947, victime d’une hémorragie cérébrale. Une foule de plus de 500 admirateurs, surtout des femmes, assistèrent à ses funérailles, preuve qu’on ne l’avait pas oubliée. Elle est inhumée au cimetière Hollywood Forever en Californie. À sa mort, sa fortune était évaluée à 500 dollars.